Ce travail a été présenté au cours du séminaire "Biens Publics, Biens Communs" organisé par Anne-Christine Trémon à l'EHESS, le 22 novembre 2023. Il s'appuie sur mon expérience d'observation participante (entre septembre 2016 et janvier 2018) en tant que bénévole parmi "les Grands Voisins". Ce nom fut donné à l'occupation temporaire (2015-2020) de l'ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, situé dans le 14e arrondissement de Paris, fréquentée par plusieurs milliers d'individus (centres d'hébergement d'urgence et de réinsertion abritant des populations précarisés, locataires de bureaux, équipes de gestions, bénévoles, touristes, ...). Parmi les Grands Voisins, les anciens gestionnaires et certains responsables associatifs locataires de bureaux vont en venir à adopter médiatiquement le vocabulaire du "commun" pour qualifier les lieux et ce qui y fut réalisé entre certains de ses occupant.es. Du point de vue de l'ethnographie, les usages de tels concepts doivent être remis dans un contexte et une histoire. Pour reprendre une typologie proposée par David Graeber (2014), les fondements moraux des relations économiques (hiérarchie, réciprocité, commun) entre les différents "publics" du lieu, particulièrement controversées, ont fait l'objet d'un souci collectif important, sur fond d'injonction à la fabrique de "mixité sociale" et "d'inclusion sociale". Pour comprendre l'origine de ces controverses, il importe de restituer la biographie d'une infrastructure dans sa "vie sociale" (Appadurai, 1986 ; Kopytoff, 1986), en décrivant le processus qui allait aboutir à sa disqualification progressive en tant que patrimoine inaliénable du service public de santé et d'aide sociale à l'enfance, et à l'implémentation conjointe de l'occupation temporaire, espace-temps présenté par ses gestionnaires comme "intermédiaire" ou "intercalaire", en attendant des travaux immobiliers devant voir l'émergence d'un futur "éco-quartier".