Dans cette contribution au séminaire de "La Fabrique de l'Anthropologie Politique" du 16 novembre 2022, j'ai proposé de revenir sur les transformations actuelles de la "politique des temps" au sein de la discipline anthropologique. Ces enjeux ont historiquement trouvé leur traduction en anthropologie sous la plume de Johannes Fabian dans sa critique de “l’allochronisation” des “Autres” de l’anthropologie (Fabian, 1983). Johannes Fabian identifiait l’allochronie comme une politique du temps fondée sur déni de “coevalness” (co-temporalité, que d’aucuns ont traduit par contemporanéité) fabriqué par les programmes de recherche évolutionnistes et structuralistes dans leur rapport à leurs “objets” d’enquête (participant à nier par là aux “Autres” leur statut de sujets historiques). Fabian plaidait ainsi pour une anthropologie prenant en compte la situation de co-temporalité “dialogique” de l’enquête ethnographique, observateurs et observés vivant, du moins pour un temps, un espace-temps, sinon commun, du moins partagé. Je propose de traiter la façon dont le déplacement des temporalités -ou des modes de spatiotemporalisation- à l'œuvre au sein de la discipline à partir des années 2000-2010 s’est opéré dans une tension ambivalente entre remise en question de la “fin de l’histoire” néo-libérale, irruption de ce que l’on peut appeler les “X-cènes” (capitalocène, anthropocène, etc.) dans la vie de l’enquête, et émergence de “l’anthropologie des ontologies” comme programme de recherche néo-structuraliste. Face à ce processus d’altérisation radicale de l’espace-temps, vient l’affirmation d’une “politique des temps” nouvelle : “l’autre” n’est plus “derrière nous”, inscrit dans le temps primitif de l’évolutionnisme linéaire, ou bien “à côté” de nous, renvoyé à sa temporalisation froide, mais bien plutôt “devant nous”, offrant comme une voie de sortie potentielle du “X-cène”, identifié ou assimilé comme résultant de l’expansion d’une ontologie naturaliste.