En novembre 1980, Louis Althusser étrangle sa compagne Hélène dans les locaux de l’École normale supérieure. Reconnu irresponsable de son acte par la justice, il est interné dans un hôpital psychiatrique d’où il sortira 5 années plus tard. C’est alors qu’il écrit un livre où il reconstruit une mémoire à partir de cet acte qui a été considéré comme un « non-lieu ». Le titre de cet ouvrage, L’avenir dure longtemps, est une longue méditation où il remonte jusqu’au récit de son enfance, et où il exprime cette douleur, cette souffrance d’avoir commis un acte, tout sauf anodin, un acte qui est pénalement et socialement réputé comme n’ayant pas eu lieu, qui n’a donné aucune autre interprétation que d’avoir échappé à sa responsabilité, à sa volonté. Pas de lieu, pas de sens, pas d’histoire. Comment construire un avenir à partir d’un passé qui n’a pas eu lieu ? Il nous a semblé ici pertinent d’esquisser une analogie entre ce récit et ce qu’il en est du travail social, dans son rapport à son acte, à son histoire, au sens de ce qu’il fait, à sa recherche éperdue du « où ça va ? » Qu’est-ce que ça devient ? À quoi ça sert ? Pas de lieu, pas d’histoire, pas de mémoire. En effet, cette obsession dans la recherche de soi, de ce que l’on est, cette redondance des questions sur sa situation et son devenir est une caractéristique marquante du travail social. Bien sûr, il existe des travaux sur son histoire, mais font-ils mémoire ? Contribuent-ils à donner un sens au présent, à tracer des lignes de fuite, à éclaircir ce que Bourdieu appellerait la structure du champ et de ses enjeux ? Rien n’est moins sûr !