Face à la crise environnementale, le secteur agricole est à la fois perçu comme une des sources majeures de dégâts (artificialisation des sols, émission de GES, pollutions, érosion de la biodiversité, effets sanitaires) et un secteur clé au sein duquel des solutions peuvent être trouvées. Parmi les leviers potentiels d’écologisation du secteur agricole, la compensation écologique et les paiements pour services environnementaux (PSE) sont au centre des réflexions et des propositions de plusieurs organisations agricoles qui y voient la possibilité d’accéder à des financements privés pour rémunérer les agriculteurs en échange de pratiques plus environnementales. C’est aussi une orientation majeure de la réforme de la PAC en cours qui valorise la diversification des financements et des sources de revenus pour les agriculteurs. Ce type d’outils relève du cadre de la modernisation écologique, qui postule l’intégration d’une rationalité écologique dans l’économie comme moyen de résolution des problèmes environnementaux. On trouve en effet dans la compensation écologique et les PSE les principes généraux de la modernisation écologique : désectorialisation des politiques environnementales, recours au marché, mutation des formes de régulation publique (Béal, 2016). Si la modernisation écologique est une théorie du social (Mol & Spaargaren, 2000), elle est ici abordée en tant que projet politique qui transforme les politiques environnementales depuis les années 1970 (Foyer, 2019). A travers l’analyse de la mise en œuvre de PSE et de mesures compensatoires sur des espaces agricoles, cette communication propose une analyse critique de la modernisation écologique du secteur agricole. Tout en exposant l’hétérogénéité des cas empiriques, nous démontrons la fragilité de telles entreprises, en insistant sur le caractère ad hoc de la régulation, sur les compromis entre agronomie et écologie et sur les concessions à l’œuvre pour assurer l’engagement des agriculteurs. Le matériau empirique mobilisé consiste en une dizaine d’études de cas de mesures de protection de la nature, réparties dans quatre régions françaises et réalisées entre 2019 et 2021. L’enquête qualitative est fondée sur des entretiens avec des organisations intermédiaires (organisations agricoles et associations de protection de la nature), des financeurs (entreprises), des agriculteurs et les services de l’État (quand ils sont impliqués). Les données collectées permettent une double analyse : au niveau organisationnel (comment les intermédiaires se positionnent par rapport aux autres organisations pour construire le cadre d’action de l’écologisation) et le niveau des pratiques agricoles, pour analyser comment sont pris en compte les intérêts (écologiques, agronomiques et économiques) dans les changements de pratiques. Nous montrons qu’il se développe davantage un marché de pratiques écologiques qu’une écologisation des pratiques agricoles. Il existe plusieurs circuits de financement, plus ou moins réglementés, qui permettent d’orienter des financements privés pour rémunérer les changements de pratiques des agriculteurs. Du côté du secteur agricole, ces mécanismes ne sont pas contraignants : c’est leur caractère plus ou moins incitatif qui va entrainer l’adhésion et la participation des agriculteurs. Ces derniers se trouvent ainsi en position d’offre de mesures agro-écologiques si les conditions financières et pratiques leur conviennent. Cette dimension incitative participe ainsi à orienter la prise de décision dans le sens de leurs intérêts, qui peuvent être alignés ou antagonistes avec ceux de la protection de la nature. De plus, le caractère émergent de ces dispositifs, ainsi que leur faible degré de formalisation des attentes écologiques en amont, se traduit par une régulation ad hoc et au cas par cas de chaque initiative, ce qui rend difficile la construction d’un cadrage général normalisé de la modernisation écologique du secteur agricole. A partir de ces éléments empiriques, cette communication pose les bases d’une réflexion sur les conditions de l’écologisation du secteur agricole par des mécanismes économiques privés.