Efficiences idéales et défaillances réelles : une lecture des Lettres persanes
Résumé
In the Lettres persanes, Montesquieu gave a striking formulation of the optimum in political philosophy, according to which the 'most perfect government is the one that reaches its goal at the lowest cost' (Letter LXXX). But the narrative tells a different story, one that constantly contrasts the formulation of ideal efficiencies and the reality of waste in all the areas mentioned. What can we think of a narrative philosophy in which the explicit philosophies of efficiency are inseparable from the stories of deficiency? Starting with a commentary on the "standard" formulation of the optimum in Letter LXXX, we will identify as systematically as possible the different formulas that state optima, in the organisation of the seraglio, in religious economy, in the description of political life, by confronting them with the different facets of this narrative of failures, that of Usbek, that of the French monarchy, that of world history. The investigation of the formulations of efficiency and the way in which they are worked on narratively makes it possible to understand how a political philosophy can expose itself as true and at the same time be caught in a sceptical network, which is the very dimension of the narrative. Will we thus be able to propose a solution to the critical conflict about the meaning of the Lettres persanes between the proponents of a philosophical interpretation and the defenders of a carnivalesque reading?
Montesquieu a donné dans les Lettres persanes une formulation marquante de l’optimum en philosophie politique selon laquelle le gouvernement « le plus parfait est celui qui va à son but à moins de frais » (Lettre LXXX). Mais la narration raconte une toute autre histoire, qui ne cesse d’opposer, dans tous les domaines évoqués, la formulation d’efficiences idéales et la réalité du gâchis. Que penser d’une philosophie narrative dans laquelle les philosophèmes explicites de l’efficience ont pour inséparables revers les récits de déficiences ? À partir d’un commentaire de la formulation « conforme » de l’optimum dans la Lettre LXXX, on recensera aussi systématiquement que possible les différentes formules qui énoncent des optima, dans l’organisation du sérail, dans l’économie religieuse, dans la description de la vie politique, en les confrontant aux différentes facettes de ce récit de déroutes, celle d’Usbek, celle de la monarchie française, celle de l’histoire mondiale. L’enquête sur les formulations de l’efficience et la manière dont elles sont travaillées narrativement permet de comprendre comment une philosophie politique peut s’exposer comme vraie et en même temps être prise dans un réseau sceptique, qui est la dimension même du récit. Parviendra-t-on ainsi à proposer une solution au conflit critique portant sur la signification des Lettres persanes qui oppose les tenants d’une interprétation philosophique et les défenseurs d’une lecture carnavalesque ?