Alors que les collectivités politiques sont en recomposition territoriale permanente, elles s’affichent en même temps et paradoxalement comme le fruit d’une histoire la plus longue possible. Le socle historique et culturel indispensable à tout territoire pour apparaître comme une construction politique légitime est ainsi régulièrement retravaillé par des acteurs qui souhaitent soit le renforcer soit le saper (mais pour le relégitimer ensuite et faire oublier sa recomposition récente). On comprend aisément du coup la difficulté, politique et juridique, de plusieurs États à reconnaître et à faire une place aux réalités plurinationales qu’ils accueillent. Ils cherchent à résister à la force centrifuge des référents identitaires lorsqu’ils s’écartent du récit mononational porté par l’État. Mais ils exacerbent parfois des revendications territoriales qui auraient peut-être pu s’exprimer de façon moins radicale dans un cadre fédéral. Les prophéties autour de la décomposition de l’État, dépassé « par le bas » et « par le haut », peinent donc à se réaliser. Dominée par l’idéologie de l’État-nation, la théorie de l’État de facture juridique tend à ignorer les soubassements théoriques sur lesquels reposent ces mécanismes institutionnels. La théorie juridique du fédéralisme peine également à les conceptualiser. Érigeant en modèle des États qui, comme les États-Unis, sont peu soumis à des forces centrifuges, elle s’empêche d’envisager les arrangements issus de ces processus de recomposition autrement qu’à titre d’anomalies. Il faut donc réinterroger les analyses des rapports entre centres et périphéries et du processus historique de construction des États-nations.