Depuis la seconde moitié des années 2000, deux processus distincts, concernant l’éducation basique au Brésil sont remarquables : d’un côté, on peut vérifier une multiplication de politiques éducatives et, de l’autre, la présence croissante des économistes (surtout l’économie comportementale, la nouvelle histoire économique institutionnaliste et les outils micro-économétriques) dans l’univers éducatif. Nous proposons que le lien entre ces processus réside dans la rétroaction entre les réformes de l’éducation et la recherche en éducation. Soit parce que les chercheurs choisissent les sujets d’étude qui sont déjà objet de discussion politique (e.g. les « nudges » pour prévenir le décrochage scolaire pendant la pandémie du COVID-19 ou la mensuration des effets des compétences socio-émotionnelles sur les performances scolaires). Soit parce que les hypothèses économiques sont mobilisées par les réformateurs en justifiant leurs décisions politiques (e.g. les taux de rendement élevés de l'investissement dans le capital humain dans la petite enfance ou la faible corrélation entre les dépenses publiques et les résultats scolaires). La science économique constitue donc des recours pour l’action politique, en même temps qu’elle accompagne leurs effets au fil du temps et des espaces. A partir des entretiens menés auprès des économistes (n=20), ainsi qu’une analyse considérant leur production académique, nous proposons d’examiner comment ce savoir s'est installé dans les politiques éducatives, en analysant son rôle dans la production et l’usage des statistiques publiques sur l’éducation au Brésil. D’ailleurs, nous tracerons les contours propres de ce discours économique. Son trait le plus inédit est, à notre avis, qu'il a renoncé à de nombreuses entités caractéristiques de l'économie (croissance, productivité, marché, etc.), largement dénoncées par les critiques du néolibéralisme, tout en endogénéisant les revendications de ces mêmes critiques autour de la lutte contre les inégalités historiques du pays. Ainsi, c'est un discours qui réussit à circuler parmi les gouvernements à la gauche et à la droite en élisant l'éducation grâce aux promesses de dépassement du « sous-développement » du Brésil, de réduction des asymétries sociales et de rationalisation des dépenses publiques. Bibliographie Bruno, Isabelle et Didier Emmanuel, Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, Zones, 2013. Desrosières, Alain, « La statistique, outil de gouvernement et outil de preuve », dans L’argument statistique. Paris, Presses des Mines, Paris Tech, 2008, p. 7-20. Normand, Romuald, Gouverner la réussite scolaire. Une arithmétique politique des inégalités. Berne : Peter Lang et Lyon : ENS de Lyon, 2011. Supiot, Alain, La gouvernance par les nombres, Paris, Pluriel, 2017.