En me basant sur mon expérience de la résidence « Au plus près, ensemble ; l’entrecroisement art, littérature et sciences humaines pour la compréhension d’un territoire entre ville et nature », réalisée à la Fondation Camargo (en décembre 2014 et janvier 2015) et en m’appuyant également sur différentes pratiques interdisciplinaires d’enseignement, réalisée en école d’architecture depuis, je souhaite questionner les déplacements et les (im-)possibles dépassements des frontières disciplinaires. Voici ci-dessous quelques bribes de ce que j’ai expliqué du processus de notre recherche lors de sa présentation à la Fondation Camargo en septembre 2015. Ce sont ces réflexions sur la fabrication de la recherche interdisciplinaire que j’aimerais revisiter et partager avec les participants à l’école de l’OPI pour les mettre à discussion : Processus de la recherche [extraits] Premier séjour de 3 jours en décembre (9-11 décembre 2014) : Prise de connaissance/reconnaissance du site (émerveillement) et des collègues (sentiment d’harmonie/osmose parfaite) Qu’apportons-nous dans nos bagages ? Certains des souvenirs très précis, d’autres l’envie de travailler sur un nouveau site complètement inconnu. Trois jours intenses où l’on explore collectivement le territoire et où on débat ensemble de tout à tout moment. On se quitte fébriles, en pleine effervescence et en se réjouissant des lendemains prometteurs de cette première courte résidence. Visible et invisible sont déjà en ligne de mire. L’envie de partir à la recherche de l’envers du décor et d’élucider les faces cachées de la ville ; de réfléchir sur la construction d’une ville de rêve et d’en explorer ses coulisses ; de penser les connexions de Cassis avec le reste du monde au travers de la circulation des matières et des personnes. Les questionnements sur les mécanismes d’ouverture/fermeture pointent. On s’interroge sur les méthodes et les représentations ainsi que sur notre attachement à/ détachement de nos « méthodes » (¿habitudes ?) disciplinaires. Nous nous sommes donc embarqués dans une sorte de recherche aléatoire, guidés par les hasards et comptant sur notre sagacité pour en tirer profit, car comme l’a écrit Louis Pasteur « le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Mais peut-être avons-nous mis la charrette avant les bœufs en présentant l’interdisciplinarité avant le projet ? 2ème séjour (du 8 janvier au 25 janvier 2015) : Contents de se retrouver malgré le contexte difficile de l’actualité : nous sommes perturbés par les attentats de la veille à Paris. 10 janvier (soit le 3ème jour de travail de notre 2ème séjour) : naissance de l’idée du panorama Sans tomber dans le piège de l’holisme (la prétention à la totalité, on sait que c’est trompeur, que cela n’est pas possible et il est bien évident qu’il est impossible de cerner la totalité de la ville de Cassis en 2 semaines et demi), nous optons de jouer avec les échelles : tout en suggérant une vision globale (une vision XXL à 360º), nous zommerons sur du très petit (XXS), nous aurons une attention particulière aux plus petits détails et surtout à la matérialité des choses (les plis du panorama). Néanmoins la négociation du panorama et de sa dynamique sera longue et âpre et n’est pas encore terminée à ce jour. Comment déplier les plis ? Questions de méthodes : Comment s’y prend-on pour nourrir nos plis ? Faire des ateliers de méthodes partagées ? parler de nos manières de travailler en mettant à débat des (nos) travaux ? faire des exercices pratiques propres à chaque discipline ? Les méthodes ne se limitent pas aux outils méthodologiques. Sortir des disciplines n’est pas indiscipline ; il faut avoir de la discipline, s’imposer des contraintes. L’interdisciplinarité n’efface pas les frontières mais en crée d’autres. De ces tergiversations naissent une mise en commun de mots qui reflètent nos sensations du site et nos manières de travailler qui aboutira en un atelier d’écriture sur le mot cicatrice (le 16 janvier). Cet atelier d’écriture s’est déroulé le lendemain d’un moment de partage intense pour tous en compagnie de Said Belguidoum avec qui nous avons échangé sur son terrain de 9 mois (entre septembre 1996 et avril 1997) auprès de ceux que différents médias ont popularisé sous le noms des « Oubliés de Cassis ». Ce temps de rencontre marquera un temps fort pendant notre résidence et sera la source d’intenses débats entre nous sur la manière de mener une recherche (don-contre don, zoo, usurpation). Recherche non seulement d’appréhender différemment un territoire mais également volonté d’éprouver de nouvelles manières d’écrire. Nous sommes rentrés avec dans nos bagages : -Des listes de choses à faire -Beaucoup de questions et de doutes -Quelques certitudes (qui ne sont néanmoins pas inébranlables) -Une expérience forte qui nous a beaucoup appris sur le vivre-ensemble en résidence Les routines qui en découlent et qu’on s’impose les uns – les autres, (nous nous sommes accomodés les uns aux autres et avons dû faire de nombreux deuils) Les acceptations ou refus des règles implicites et explicites, Les négociations de nos places et rôles non seulement dans la recherche mais également au quotidien Ont fait partie de nos réflexions ce qui permet non seulement de mener à bien un projet qui se veut au croisement des disciplines mais également ce qui permet de faire société. Le 25 janvier a marqué la fin d’un temps collectif qui nous a permis de nous éprouver et de tisser des liens d’une nature bien différente qu’en travaillant sans se côtoyer quotidiennement. Une temporalité se termine : celui du braimstorming et de la cohabitation, d’autres s’ouvrent pour chacun d’entre nous pour mettre de l’ordre dans toutes les données produites voire en produire d’autres.