Bien que la notion d’espace ait été omniprésente dès les débuts de l’anthropologie, au travers principalement des descriptions de son aménagement, l’espace n’a été que rarement traitée comme une question en soi. Les écrits des anthropologues abondent d’informations sur l’espace, voire les espaces, dans le(s)quel(s) elles/ils travaillent. Leurs travaux contribuent largement à établir des inventaires sur les différentes manières d’organiser et d’architecturer l’espace. Leurs observations et constructions auraient été « moins aveugles », que celles des autres chercheurs en sciences sociales, selon Christelle Robin qui précisait également que Marcel Mauss a été le premier à décrire les corrélations entre les transformations sociales et les transformations spatiales. Néanmoins ce n’est que tardivement que la notion est mise au centre de la réflexion et est questionnée. Sans prétendre faire le tour de la question, je présenterai dans cette communication la manière dont ma pratique s’est modifiée au fur et à mesure que la notion d’espace a changé de statut dans mes réflexions et montrerai comment d’une monographie classique d’un quartier que l’on qualifierait actuellement « en voie de gentrification », j’en suis arrivée à faire des itinéraires accompagnés avec de jeunes barcelonais, issus de l’adoption internationale pour comprendre pleinement ce qui les lie à ou les délie de leur espace de vie. Ces itinéraires en marche doivent beaucoup au protocole mis en place par Jean-Yves Petiteau, bien qu’il ne le reproduise pas exactement. En présentant cette méthode, j’expliquerai en quoi la prise en considération de la notion d’espace, appréhendée non plus comme un contexte mais comme une entité à prendre en considération au même titre que les êtres, a transformé ma pratique d’ethnographe urbaine. Colette Pétonnet a insisté dès les années 1980 sur l’importance du mouvement continu des corps en ville qui, pour elle, est constitutif de l’urbanité moderne, au même titre que l’anonymat. Michel De Certeau a également mis en avant la force du pas en insistant sur la capacité de celui-ci à transformer, questionner la configuration de l’espace. Depuis les urbanistes, les architectes et quelques chercheurs en sciences humaines et sociales (et bien avant eux les artistes) se sont emparés de celle-ci pour en faire un puissant outil de travail qui permet de révéler un site. Effectuer un parcours dans la ville permet de percevoir des frontières, et de recoudre les territoires que les premiers anthropologues de l’urbain ont eu tendance à séparer en créant des entités de recherche comparables à celles dont ils avaient l’habitue sur leurs terrains « exotiques ».