Qu’est-ce qui fait « chez soi » pour les jeunes générations d’aujourd’hui? Quelles sont leurs « espaces intérieurs »? Leur chambre à coucher est-elle encore l’ultime bastion de leur intimité ? A l’heure du tout numérique, est-ce un refuge ou plutôt un point d’ancrage dans leur (con)quête du monde ? Anne Jarrigeon et Joëlle Menrath (2010) font remarquer que face aux interdictions des adultes, bien souvent les adolescent·es s’enferment ou sont enfermé·es dans leur chambre, pour mieux s’ouvrir sur le monde par le biais des réseaux sociaux et autres dispositifs numériques. La dichotomie public/privé, patiemment élaborée au cours des siècles dans les sociétés occidentales, spatialement définie par les aménagements des espaces publics et méticuleusement orchestrées par la pensée architecturale dans nos logements (Auteur, 2018) semblent vouloir se brouiller de plus en plus, perdre de son sens, voire de sa consistance, comme le souligne Francisco Cruces (2016) et son équipe de recherche dans leur étude sur les transformations des usages des intérieurs madrilènes. La chambre, initialement conçue pour cultiver son intimité, ne serait-elle pas en train de devenir un espace de publicisation de cette dernière, comme l’attestent les nombreuses photos et films d’adolescent·es postées sur les réseaux sociaux et tournés/prises dans leur chambre ? Quels impacts les dispositifs digitaux ont sur les usages quotidiens de nos espaces publics et privés ? Cette distinction fait-elle encore sens pour les jeunes générations qui indistinctement s’allongent sur les pelouses des parcs publics comme sur les canapés de leur salon ou chambre à coucher, adoptent des poses en extérieur que les générations précédentes ne se seraient pas permises ? Que nous disent les pauses/poses de ces jeunesses hyper connectées sur les transformations de nos modes de vie urbain ? La prolifération des différents co- (co-working, co-voiturage, collocation, etc) semble traduire une profonde transformation en cours du chez soi/à soi pour une génération pour qui la possession de biens ou d’espaces propres semble moins importante que le fait d’être dans le flux des informations donc au courant des disponibilités et possibilités. Si l’histoire de la chambre à coucher est désormais bien connue (Eleb, 2013 ; Perrot, 2013), peu de travaux analyse conjointement les pratiques spatiales et pratiques digitales de ces lieux. C’est ce que nous tentons de faire depuis quelques années et nous profitons de l’opportunité de ce colloque pour présenter l’état d’avancement de nos réflexions.