Appartenant au droit privé, la propriété intellectuelle n'est pas souvent envisagée comme le produit et l'instrument de l'action publique. Pourtant comme d'autres dispositifs juridiques ayant un impact direct sur les droits des personnes privées (pensons par exemple au droit fiscal, au droit immobilier, au droit rural ou à celui de l'urbanisme), les différents régimes de propriété intellectuelle reflètent des orientations définies par le législateur qui expriment une certaine conception de l'intérêt général et arbitrent entre les intérêts des différents acteurs ou groupes sociaux concernés 1. Cela apparaît de manière manifeste dans certaines situations où la propriété intellectuelle se retrouve au coeur de controverses politiques et sociétales sensibles. Pensons notamment aux débats animés qu'ont suscité, dans le domaine des brevets, les questions de brevetabilité des inventions biotechnologiques ou logicielles 2 ainsi qu'en matière de droit d'auteur, les modalités de répression des téléchargements illégaux en ligne. Chacun voit bien que la mise en oeuvre de la propriété intellectuelle dans ces cas limites renvoie à des choix économiques ou socio-politiques sous-jacents dont elle ne constitue que l'instrument juridique. Mais nous voudrions montrer ici qu'au-delà de ces questions particulières qui occupent l'actualité et qui touchent aux limites de la portée des droits, c'est la totalité du droit de la propriété intellectuelle qui peut être qualifiée de « politique publique » car elle en présente les principales caractéristiques. Ce qui permet de comprendre pourquoi son adaptation nécessaire aux nouvelles caractéristiques d'une société de l'information est complexe et nécessite la mise en oeuvre d'un pilotage politique délicat. * Avocat, Professeur de droit, Université de Lille 1 Bernard Bergmans ne dit rien d'autre lorsqu'il écrit : « les droits de propriété intellectuelle ne sont que des instruments juridiques traduisant une option fondamentale basée sur des considérations qui sont essentiellement non juridiques » (B. Bergmans, La protection des innovations biologiques : Une étude de Droit comparé, Bruxelles, Larcier, 1991, p. 385). 2 Voir notamment notre intervention « Approche socio-politique des questions de brevetabilité », au colloque La brevetabilité des inventions biotechnologiques-État des questions après les lois du 6 août et du 8 décembre 2004,