La scolarisation d’enfants et d’adolescents en situation de polyhandicap constitue un défi pour les professionnels de l’éducation car elle nécessite d’interroger et d’adapter les programmes, l’évaluation et la pédagogie. Cette situation extrême (Saulus, 2007) se caractérise par une déficience intellectuelle sévère à profonde associée à des déficiences motrices, et parfois des déficiences sensorielles ainsi que des problèmes somatiques. Il en résulte une grande dépendance de ces jeunes envers leur environnement pour mener à bien la majeure partie des actes de la vie quotidienne, et donc d’aménager l’accessibilité aux apprentissages. Dans ce contexte, peu de recherches se sont centrées sur leurs processus d’apprentissage en classe. De plus, probablement au moins en partie à cause de cette situation de grande dépendance, des recherches ont montré, dans divers contextes (groupes de vie, classe), que les comportements et activités initiés par les personnes en situation de polyhandicap étaient peu pris en compte par leurs partenaires, la communication se faisant le plus souvent sur un mode directif (Bocéréan & Musiol, 2009). Nous savons également que la mise en place d’un accordage et/ ou d’un étayage est également rendu difficile par la situation de polyhandicap (Nijs, Vlaskamp & Maes, 2015). Or l’expression des compétences des jeunes en situation de polyhandicap peut être fortement influencée par le contexte ou par la perception des professionnels qui les accompagnent (Detraux, 1987). Dans ce contexte, l’objectif de cette étude était d’analyser les expressions et activités spontanées des jeunes en situation de polyhandicap, observées par leurs parents et des professionnels de l’éducation à partir du visionnage de séances de classe. En particulier, nous avons cherché à savoir à qui étaient adressées les expressions et activités spontanées des jeunes, et quels étaient les moyens mobilisés par les jeunes pour établir des interactions sociales, le cas échéant. Les participants étaient 23 jeunes en situation de polyhandicap, ainsi que leurs parents et les professionnels (enseignants, éducateurs...) les accompagnant, au sein des 5 établissements médico-sociaux français engagés dans la recherche. Les jeunes ont suivi, pendant une année scolaire deux temps de classe d’une heure par semaine en groupes de 4 à 5 jeunes, et trois de ces séances ont été filmées (une par trimestre). Un montage d’une vingtaine de minutes a été réalisé après chaque tournage puis projeté lors d’une réunion dites « en regards croisés » (Scelles & Petitpierre, 2013), réunissant les parents et les professionnels. Lors de chacune de ces réunions, le film a d’abord été visionné à deux reprises, puis les participants ont rempli une grille d’observation visant notamment à repérer les comportements à l’initiative des jeunes ; chaque jeune était observé par au moins deux personnes (un professionnel et un parent). Nos premiers résultats ont montré (Atlan, Toubert, & Puustinen, 2017) que les élèves en situation de polyhandicap initient des activités et interactions en classe, et que leurs initiatives sont adressées aux enseignants, aux autres professionnels mais aussi aux pairs, ou sont tournées vers l’exploration ou l’utilisation d’objets. Nous avons repéré différentes modalités mobilisés par les jeunes afin d’initier des interactions sociales (attention conjointe, imitation, contact corporel, utilisation d’objet intermédiaire, regard...). Les résultats montrent également que les parents et les professionnels ne repèrent pas toujours les mêmes initiatives. Dans ce contexte, nous discuterons l’intérêt, pour soutenir les apprentissages, de développer l’analyse des expressions spontanément produites par les jeunes, ainsi que la nécessité de développer une attention et des compétences d’observation pour être attentif aux signes subtiles exprimés par ces jeunes. Nous discuterons également l’importance de croiser les regards avec les familles pour mieux comprendre ces jeunes et identifier leurs compétences.