Le jeu a été considéré de longue date comme un élément structurant du développement affectif, cognitif et social de l’enfant, en particulier les jeux d’imitation et de faire-semblant qui accompagnent l’émergence de la fonction symbolique tout au long de la petite enfance (Vygotsky, 1967 ; Piaget, 1969 ; Winnicott, 1975 ; Harris & Kavanaugh, 1993 ; Brougère, 2005). L’objectif de cette communication est de réinscrire ce processus dans le contexte de la famille et de ses modes de socialisation. En restituant les formes de socialisation et d’éducation propres aux différents milieux sociaux, leurs variantes sexuées, la place qu’y prend le jeu symbolique et la façon dont l’enfant lui-même s’en saisit, il s’agit d’analyser la différenciation des pratiques enfantines dans le domaine du jeu symbolique comme un analyseur de ce que la socialisation fait à l’enfant et de ce qu’il en fait. Nous exploitons à cet effet les matériaux recueillis dans le cadre de l’étude longitudinale qualitative Génération 2011 conduite auprès de 50 familles ayant toutes eu un enfant en 2011 et qui ont été rencontrées à la naissance puis à l’occasion de cinq visites à domicile entre l’âge de deux mois et l’âge de six ans. A chaque rencontre, un entretien approfondi a été réalisé avec les parents et des notes ethnographiques ont été relevées concernant le cadre de vie, la place de l’enfant dans l’espace domestique et les interactions familiales. Lorsque les enfants ont eu deux ans, des protocoles de jeux avec eux ont été mis en place, avec l’aide de co-enquêteurs : jeu avec les jouets de l’enfant et jeu avec des Playmobil à deux ans ; lecture d’album, test cognitif issu du British Ability Scale et jeu avec des Playmobil à 3 ans ½ ; lecture d’album, dessin de famille, jeu projectif des préférences (sports, maisons, animaux, métiers, séries TV) et jeu avec des Playmobil à 5 ans ½. L’ensemble de ces moments de jeu a fait l’objet d’une captation vidéo. L’analyse présentée prendra tout d’abord appui sur une analyse transversale et longitudinale des pratiques éducatives parentales, permettant de rendre compte des configurations de principes éducatifs, de jouets et d’objets culturels dans lesquelles prennent place les tout jeunes enfants (Vincent, 2001 ; Bonnery, 2015 ; Geay, Humeau, Spruyt, 2017). En tenant compte des caractéristiques sociales de la famille et du sexe de l’enfant, on s’attachera notamment à distinguer les formes les plus didactisées du recours au jeu, les formes faisant au contraire surtout appel à l’activité créative ou celles qui parient davantage sur l’activité autonome de l’enfant, de la fratrie ou du groupe de pairs. Au travers de quelques cas typiques, on s’intéressera ensuite à ce que l’enfant lui-même fait des modèles auxquels il peut s’identifier et plus largement de quelle façon il met au travail dans le jeu les schèmes de perception et d’action qui organisent l’univers dans lequel il est socialisé (Maccoby, 1988 ; Baerlocher, 2006 ; Court, 2017 ; Lignier, Pagis, 2017 ; Geay, 2019). On se basera alors spécifiquement sur les matériaux issus du jeu des préférences et du jeu des Playmobil à 5 ans ½. Ce dernier constitue en effet à la fois une sorte de fil rouge des activités proposées aux enfants aux différents âges et un support privilégié pour le jeu symbolique et pour l’expression de soi. Les choix d’objets et les mises en scène, mises en mots et scénarisations qui l’accompagnent constituent autant de façons d’entrer dans les logiques d’appropriation par les enfants du monde qui les entoure. On s’efforcera ainsi de restituer certaines des relations qui existent entre les conditions sociales de production des styles de jeu et les logiques pratiques au travers desquelles se construisent les identités sociales et sexuées, à l’âge de six ans.