« Je ressens un désir ardent, brûlant, une envie si sincère de te revoir. Te reverrais-je un jour ? Oh, cette pensée me rend fou, je me demande si tu ressens mon absence et si je te manque. Les océans se dressent entre nous, mon très cher amour, mais tu es dans mes pensées, dans mon cœur, dans mes yeux, dans ma tête, partout ». (source : archives du London Foundling Hospital, “pétitions acceptées”, extrait d’un courrier d’Abudaba M. Z. R., daté du dimanche 7 janvier 1894, envoyé de Brindisi, Inde) C’est à bord du navire qui le ramène vers son pays natal qu’un jeune indien, étudiant en droit musulman, écrit ces quelques mots à la jeune femme qu’il a fréquentée lors de son séjour à Londres. Le jour de son départ, le 29 décembre 1893, cette jeune anglaise qui n’est autre que la fille de ses logeurs, est déjà enceinte de lui. Après plusieurs mois d’échange de courriers imprégnés de la douleur et du désir caractéristiques d’un amour interdit, leur union secrète s’achèvera dans l’amertume. Abandonnée, elle sera contrainte de confier son enfant illégitime aux bons soins du London Foundling Hospital, la célèbre institution caritative de Londres qui, depuis 1739, reçoit les enfants abandonnés de tout le pays. Cette intervention aura pour objet les relations amoureuses interethniques à la fin de l’ère victorienne à travers l’étude d’extraits poignants de correspondances intimes qui constituent une partie fascinante des archives du London Foundling Hospital. Il sera question du cas des jeunes étudiants indiens effectuant une partie de leurs études en Angleterre, mais aussi de problématiques plus vastes telle que celle des relations impériales de pouvoir entre les colons et les colonisés ou encore celle de l’hybridité culturelle de ces sujets indiens exilés en métropole.