En adaptant en bande dessinée Le Cri du peuple, roman de Jean Vautrin, Jacques Tardi s’inscrit dans un jeu de réécritures qui trouve son origine dans le journal – et les romans autobiographiques – de Jules Vallès. Cela lui permet naturellement de s’adonner avec bonheur à l’exploration sociale, historique et langagière du Paris populaire qu’il affectionne, et ainsi de mettre en perspective les enjeux sociaux d’aujourd’hui avec ceux d’hier, tant il est vrai que, dans tout palimpseste, il y a une réactualisation. Mais, sur le plan esthétique, cela lui donne également l’occasion de relever les défis graphiques que peut lancer la forme épique du roman populaire à la bande dessinée traditionnelle : par son utilisation des plans larges que permet le format à l’italienne, Tardi semble nous demander si le cadrage ne serait pas, lui aussi, comme le dit Jean-Luc Godard, « une affaire de morale », le lieu où se rejoignent préoccupations éthiques et esthétiques ; on pourrait ainsi se demander, en forçant le trait, avec le plaisir de la caricature, si par ses romans graphiques, Tardi n’en vient pas à opposer, au format « portrait », conservateur, qui, par ses plans serrés érige certaines figures en héros, le format « paysage », progressiste, privilégiant mouvements d’ensemble et fresques collectives…