L’instrumentalisation des mots et des images par les plateformes d’information permettent aux médias de jouer sur la « corde sensible » de leurs publics (rhétorique du choc et sensationnalisme). Ces procédés posent la question des modalités journalistiques du voir et du recours au montage (zapping, censure, coupes, diffusion en boucle, direct/live, différé, copier-coller et anachronismes des images...) pour susciter l’émotion à des fins essentiellement idéologiques, économiques et politiques. Face à ces manipulations médiatiques, nous proposons d’aborder le phénomène de l’empathie sélective de manière plus large en l’interrogeant dans le champ de la création au sein des arts plastiques et des arts de la scène. À partir de questions transversales liées à la représentation de la crise écologique, nous interrogerons la place, les formes et les effets du processus empathique dans l’art lorsque celui-ci prend pour objet des événements récents, plus ou moins médiatisés ou passés sous silence. Ainsi, l’art peut-il faire contrepoids au silence médiatique ? Offre-t-il un contrepouvoir, et si oui, à quelles conditions ? À quels types de gestes artistiques l'émotion empathique peut-elle conduire ? Fait-elle de l’œuvre un acte engagé ? Par ailleurs, du côté de la réception, en quoi l’art, lorsqu’il sollicite notre empathie, propose-t-il une autre forme de mise en relation au monde et nous invite-t-il à agir ? Que peut-on en attendre ? Ces questions nous permettront de nous interroger, au-delà des oppositions binaires (distance vs frontalité, neutralité vs manipulation, etc.), sur la création d'écarts critiques en regard des effets de proximité affective qu'implique l'empathie, et de proposer l’idée d’une empathie non plus sélective, mais en arborescence. Dans cette optique, en tant qu’artiste, Elsa Ayache présentera son travail sur les mégafeux en Amérique, Australie et Europe (textes et série de dessins à l’encre sur papier parfois brûlé, 2018-2021). Ces créations offriront le matériau d’une réflexion sensible au fondement d’un questionnement sur le fragile et le vulnérable, envisagés comme éléments fondamentaux de la relation empathique à l’Autre. Dans un mouvement allant du spectaculaire à l’intime, et du collectif à l’individuel, son travail ouvre un espace d’autorisation qui invite le spectateur à se reconnaître en l’Autre dans un environnement commun, vital et menacé - la forêt - tout en cheminant vers sa propre singularité et liberté de ressentir. Du côté du théâtre, Solange Ayache fera dialoguer ce travail exploratoire avec des créations de la scène contemporaine en France et en Angleterre. Deux pièces en particulier seront abordées, qui sollicitent l’empathie des spectateurs pour faire communauté autour d’événements liés aux crises humaine et environnementale. Dans The Encounter (2015), Simon McBurney et son Théâtre de Complicité mettent en scène l‘histoire vraie de la rencontre entre un reporter du National Geographic et la tribu des Mayorunas au cœur de la forêt amazonienne. Dans Mon Corps C’est le Monde (2020), Gildas Milin aborde la question du terrorisme écologique autour d’un groupe de jeunes activistes atteints de maladies environnementales, qui font le rapprochement entre la destruction de leurs corps et la destruction du monde. Ici, le travail sur les voix et les images (recours à la vidéo et à la technologie binaurale) permettra de réfléchir à la manière dont une empathie collective est mobilisée pour nous inviter à ressentir (dans l’ici et maintenant de la représentation) et à (ré)agir (dans l’après-coup du spectacle) contre la réduction au silence des minorités dans les médias (populations aborigènes, handicap invisible...). Dans la continuité d’une dynamique de travail qui s’est naturellement établie à partir d’une sensibilité commune et dans le dialogue entre nos disciplines respectives (arts plastiques et études théâtrales), nous développerons une intervention hybride, « sympoïétique » . Celle-ci prendra la forme d’un échange performé. Ainsi, cette proposition artistique à deux voix posera également la question de la place, des formes et des effets de l’empathie comme levier d’une méthodologie de recherche et de création dans le champ des humanités environnementales et des care studies. Elle abordera la question de l’empathie sélective et du silence médiatique en croisant réflexion (écocritique) et création (écopoétique), contribuant ainsi à penser de nouvelles façons de créer au sein de la recherche en art et littérature.