Au XVIIIe siècle, la vocation maritime de la maison de Savoie n’est pas évidente. Il faut dire qu’en 1713, alors qu’il se rêvait en roi de Lombardie, Victor-Amédée II doit se contenter d’une couronne qu’il considère moins prestigieuse, celle de Sicile, vite échangée par celle de Sardaigne (1720) conformément au jeu continental. Ce « cadeau » des puissances européennes laisse transparaître une histoire contraignante prenant tout son sens lorsque la France révolutionnaire s’empare de la Savoie, de Nice et du Piémont. Décembre 1798, Charles-Emmanuel IV doit alors prendre le chemin de l’exil en direction du grand large puisqu’il ne garde que la Sardaigne, île sur laquelle lui et ses prédécesseurs n’ont jamais mis un pied et jusqu’alors gouvernée de façon lointaine par l’intermédiaire d’un vice-roi. En mars 1799, il débarque à Cagliari mais son séjour, quelque peu traumatisant, tourne court en raison de séditions et de la pression qu’exerce la France depuis la Corse, d’autant que sans flotte, il se sent captif au sein même de son propre royaume ! Il espère regagner Turin – ce que lui refusent les coalisés – et se réfugie à Rome, centre de la diplomatie franco-piémontaise. Victor-Emmanuel Ier, son successeur, partage ce désamour. Fort du soutien russe, il demande à Napoléon Bonaparte la restitution du Piémont, au moins de pouvoir demeurer dans la ville éternelle. Or, le Premier consul le somme de regagner son île – il lui propose de mettre à son service des navires – perçue comme une prison naturelle l’isolant des coalisés. Cet exil forcé, mal vécu par les Savoie, est au cœur d’une affaire diplomatique aux enjeux complexes. Son étude permet d’identifier les difficultés auxquelles est confrontée la construction d’un Piémont-Savoie dont le destin alpin s’est « méditerrannéisée » en partie sous la contrainte des puissances européennes. Elle s’appuie entre autres sur les correspondances entre autorités françaises – Cacault, Talleyrand, Bonaparte – , piémontaises – Saint-Marsan, les Savoie – et même russes – Marcoff, Lisakwitsch, Kalitchew, Alexandre Ier –, notamment entre 1798 et 1802 . Après un bref rappel de l’indifférence des Savoie à l’égard de leur royaume, il s’agit de montrer que la mer est instrumentalisée par la France pour contraindre à l’exil la dynastie puis de voir comment cette dernière tente de s’échapper de sa prison insulaire en se tournant vers des soutiens extérieurs. Sans ignorer les opportunités d’expansion et d’ouverture qu’a pu offrir le grand large, j'entends conclure sur les aléas géopolitiques que la mer impose à une dynastie qui se pense d’abord depuis ses montagnes.