Le recours aux pesticides soulève de nombreux enjeux en matière de santé publique et les recherches actuelles sur les conditions d’exposition se multiplient (Baldi et al., 2014 ; Laurent et al., 2016). Une pluralité de réglementations a été élaborée et constitue le cadre actuel de la prévention des risques d’exposition des travailleurs aux pesticides. Loin d’être un ensemble cohérent, cet enchevêtrement normatif (droit de l’Union européenne/législations nationales ; code du travail/code rural ; règles juridiques/normes techniques) se caractérise par sa très grande complexité et des problèmes d’articulation qui ont pour conséquence de le rendre difficilement applicable (Badel, Charbonneau et Lerouge, 2018 ; Blatman, Bourgeot et Verkindt, 2014 ; Frua, 2016 ; Garnier, 2017 ; Laurent et al., 2016 ; Thevenot, 2014). Dans les écrits des ergonomes qui s’intéressent au travail agricole (Cerf et Sagory, 2004), le constat de la complexité du droit est fréquent et l’hypothèse que cette complexité serait un élément de blocage en matière de prévention est défendue (Garrigou et al., 2004). L’hypothèse a été avancée que les besoins des agriculteurs seraient insuffisamment pris en compte par les concepteurs de matériels agricoles (Garrigou, Baldi et Dubuc, 2008). Ces lacunes deviennent alors des déterminants des situations d’exposition aux pesticides pour les agriculteurs (Lacroix, Richardson et Grimbuhler, 2013 ; Laurent et al., 2016). Une étude récente a pu mettre en évidence un nombre important de difficultés d’usage et de variabilités rencontrées lors de l’utilisation de pulvérisateurs qui entraînent des gênes, des pertes de temps voire des erreurs et des incidents pour les agriculteurs. Ces difficultés génèrent aussi une diversité de risques, principalement des risques d’exposition aux pesticides, mais aussi des risques mécaniques. Ces résultats permettent d’avancer qu’il existe une insuffisance de prise en compte des besoins réels des viticulteurs dans le processus de conception de ce type de matériel agricole d’autant plus que cela concerne autant du matériel haut de gamme et neuf que du matériel ancien (Albert, 2018). La diversité des réglementations évoquée précédemment pèse également sur ce processus. C’est notamment le cas pour la directive machine 2006/42/CE du 17 mai 2006 qui pose les exigences essentielles aux fabricants en termes de santé et de sécurité au travail. Ces règles de prévention n’aboutissent cependant pas à supprimer tout risque d’exposition aux pesticides lors de l’utilisation du matériel agricole (Laurent et al., 2016). Cela nous conduit à nous interroger sur les difficultés que rencontrent les concepteurs pour intégrer les besoins réels des agriculteurs dans les processus de conception,mais également sur les difficultés que rencontre la réglementation pour prendre en compte ces besoins réels. En ce sens, il paraît nécessaire de s’intéresser au processus même d’élaboration de cette réglementation (Mohammed-Brahim et Garrigou, 2009). Cette approche envisagera plus spécifiquement trois questions : l’hétérogénéité de la réglementation, les conditions d’élaboration des règles juridiques et techniques applicables, ainsi que l’efficacité de ce droit à définir un cadre adéquat pour la prévention des risques en matière de conception et d’utilisation du matériel agricole dédié aux pesticides. Comprendre les conditions d’élaboration de ces normes implique d’identifier clairement les acteurs en présence et les procédures suivies, ainsi que les rapports que ces acteurs entretiennent avec les discours savants et les intérêts en cause (Lucas, 2016 ; Thébaud-Mony et al., 2012, 2015). De manière conjointe, il s’agit également de s’intéresser à l’usage des sources du droit par les concepteurs de matériels agricoles dédiés aux pesticides. Il est nécessaire de comprendre les facilités et difficultés qu’ils rencontrent à s’approprier et à appliquer cette réglementation aux différentes étapes du processus de conception. Cela amène aussi à appréhender l’ensemble des stratégies qu’ils développent face à ces difficultés et la possibilité qu’ils ont ou non de les mettre en visibilité lors de consultations. Les conditions d’exposition des agriculteurs aux pesticides restent encore très méconnues et nécessitent une approche pluridisciplinaire pour être appréhendées (Garrigou, 2006). Si de nombreuses recherches disciplinaires et pluridisciplinaires ont été engagées ces dernières années, celles-ci n’ont que très insuffisamment pris en compte le point de vue juridique et plus précisément le droit de la santé et de la sécurité au travail (Laurent et al., 2016). La réglementation peut être perçue comme une contrainte dans l’activité de travail or tout l’enjeu est de pouvoir la considérer comme une ressource pour la prévention. Pour prévenir les risques d’exposition aux pesticides, il s’agira d’introduire le point de vue du travail réel des concepteurs et des utilisateurs de matériels agricoles de pulvérisation dans deux processus : l’élaboration de la réglementation préventive et la conception de ce matériel.