En 1998, l’artiste nehiyaw Tomson Highway publiait ce qui reste à ce jour son unique roman. Kiss of the Fur Queen retrace le parcours de deux héros nehiyawak, Champion et Ooneemeetoo Okimasis, de la forêt boréale dans laquelle ils naissent, au début des années 1950, aux salles de spectacle de Toronto où ils se produisent dans les années 1980. Leurs expériences se déroulent sous le regard tantôt protecteur, tantôt espiègle du trickster – la mystérieuse Fur Queen – dont les lèvres, parfois douces, parfois carnassières, déposent sur les joues des personnages des baisers qui ponctuent le récit . Le chemin qui conduit les deux enfants de la tente de leur père – chasseur de caribou au mode de vie semi nomade – à la mégapole canadienne passe par Winnipeg, ville dans laquelle ils font l’expérience du racisme et de la discrimination. Mais il passe surtout par Birch Lake, le pensionnat indien où ils sont envoyés dès l’âge de six ans, comme le prévoyait la législation sur les Indiens alors en vigueur au Canada . Dans ce lieu, où ils passent près de dix années de leur enfance, Champion et Ooneemeetoo sont rebaptisés respectivement Jeremiah et Gabriel par les pères oblats et les sœurs grises qui gèrent le pensionnat . Ils y subissent non seulement les politiques de désindianisation à l’œuvre dans ce type d’établissement, mais aussi les viols que leur inflige le directeur de l’institution – le redoutable père Roland Lafleur. Ces années vécues loin de leur communauté d’origine constituent également pour les deux héros l’occasion de découvrir deux modes d’expression – le piano et la danse classique – dont ils vont ensuite se saisir pour contester l’hégémonie des formes artistiques dominantes dans le contexte d’une société non décolonisée . Champion devient pianiste et librettiste, tandis que son frère cadet devient danseur professionnel, avant de mourir en 1990 après avoir contracté le SIDA. Dans ce récit à très forte dimension autobiographique , la notion de résistance occupe une place centrale. Ainsi, les deux jeunes héros résistent au classicisme qu’on tente de leur imposer dans leur pratique de la danse et du piano en créant des spectacles hybrides, composites, ouvrant les portes des grandes villes canadiennes aux mythes, aux récits et aux espace nehiyawak. Quant à Tomson Highway, le simple fait de prendre la plume pour contribuer, par le biais du récit de fiction, à l’écriture de l’histoire des pensionnats indiens du Canada constitue un acte de résistance en soi. Survivant de politiques que la Commission de vérité et réconciliation du Canada n’a pas hésité à qualifier de « génocide culturel », il résiste par l’écriture à un anéantissement de son identité tribale pourtant programmé par les autorités fédérales. Cette résistance passe bien entendu par la résurgence des langues , des cultures et des modes de pensée autochtones. Au moyen d’analyses textuelles organisées autour de dyades telles que le bien et le mal, le mort et le vivant ou le sauvage et le civilisé, mais aussi en étudiant le motif de la gémellité et le surgissement de la figure du trickster, cet article se propose de s’intéresser à la manière dont Highway déconstruit les associations binaires qui sont le fruit de deux siècles de domination des systèmes coloniaux pour réaffirmer la valeur d’une pensée plus complexe, une pensée qui résiste aux schémas réducteurs auxquels étaient adossées les politiques d’assimilation des peuples autochtones au Canada.