« Pour évoquer le passé sous forme d’image, il faut pouvoir s’abstraire de l’action présente, il faut savoir attacher du prix à l’inutile, il faut vouloir rêver. L’homme seul est peut-être capable d’un effort de ce genre » écrit Bergson dans Matière et Mémoire, ouvrage dont le premier chapitre postule un monde d’images où mon corps n’est qu’une image interagissant avec d’autres. Le sensible précède donc la sensation, et non l’inverse, et la machine (selon Bergson) n’est que pure répétition mécanique, quitte à donner l’illusion d’une imagination qui serait exclusivement humaine comme le fait le cinéma, par exemple. À partir de plusieurs œuvres visuelles de Grégory Chatonsky et de Mark Amerika, je propose d’interroger ce postulat bergsonien en confrontant ce qui ne relèverait que d’une machinerie à l’imagination et au rêve. En effet, Bergson définit plus loin le rêve comme le débordement des images utilement associées à la perception par des souvenirs en apparence contingents qui surgissent indépendamment de notre volonté . Or, c’est justement le moment où la machine connaît des ratés, glitches et autres dysfonctionnements, moment où son programme perd pour ainsi dire la mémoire, qui constituera le point de départ de mes interrogations sur ces manifestations visuelles qui non seulement échappent à la répétition, mais révèlent potentiellement un point de vue non humain.