L'expérience d'un musulman né en France le conduit à adopter un double regard. D'un côté, il se voit en tant que citoyen musulman pleinement français, et de l'autre, il considère son origine comme une dimension transmise par ses parents et intégrée dans la construction de sa personnalité. Le lieu de naissance des parents devient un "point nodal de la filiation" pour les enfants nés en France. En d'autres termes, le lieu d'origine de la filiation structure leur futur et renforce le sentiment d'appartenance à la France, leur pays de naissance. Pour ces individus, la problématique consiste donc à établir rationnellement un lien entre ces deux territoires, sans toutefois traduire le sentiment supposé d'être "incomplet" par un comportement qui pourrait les stigmatiser comme étant différents. Cette double appartenance est une caractéristique globale partagée par de nombreux citoyens musulmans à travers le monde. Par exemple, le pays d'origine des parents n'est pas forcément considéré comme un territoire à reconquérir dans le cadre d'un projet de retour. Leur pays d'existence et d'avenir est incontestablement la France. Toutefois, le pays d'origine des parents est désormais irrémédiablement réintroduit dans l'espace français, ce qui entraîne ici et là l'émergence de mœurs collectives interrogeant les valeurs structurelles de la société française. La manière dont on s'exprime linguistiquement participe également à la définition de la croyance, du positionnement vis-à-vis de l'héritage familial et de l'émergence d'une nouvelle identité religieuse. Dans le cas des jeunes issus de l'immigration, il faudra donc se poser la question de savoir si l'appartenance à une langue différente de celle des parents ne définit pas différemment la question de l'appartenance. En étant "coupés" de la filiation linguistique, ils estiment que leur appartenance se transforme en une frontière où ils ne pensent pas par eux-mêmes, mais sont pensés par les autres. À travers cette problématique générale, il s'agit de saisir les contours des appartenances et des frontières en tant que modalités qui induisent des déplacements et des bouleversements du sens et des significations des paradigmes, tels que "watan," "sha'b" ou "oumma," etc. Il s'agit également de comprendre comment ces appartenances sont intériorisées et amalgamées dans le comportement et le discours des citoyens musulmans et de la société française.