Cette absence de prise en compte de la liberté académique par les universitaires français concerne d’abord les « scientifiques » (spécialistes des sciences dures) qui représentent aux yeux du grand public les grands savants (les prix Nobel par exemple). Aucun, du moins à notre connaissance, ne s’est jamais exprimé sur le thème ici étudié que ce soit par un livre ou par des articles. Ce silence contraste avec les célèbres déclarations d’Albert Einstein sur la liberté académique, lui qui a souffert de la privation de sa chaire par les nazis. Si l’on se tourne vers les sciences humaines, le même constat peut être dressé. Prenons d’abord l’exemple des philosophes, car ceux-ci représentent en France la fraction « noble », si l’on peut dire, de la profession académique. À de très rares exceptions près, ils n’ont pas traité de la liberté académique dans leurs écrits, comme si cette question de la liberté au sein de l’institution universitaire leur était indifférente. Tout aussi remarquable est le cas des sociologues. De ce point de vue, le cas de Pierre Bourdieu est topique. Nombre de ses écrits les plus fameux portent sur l’éducation et sur l’enseignement supérieur. Il a même consacré un ouvrage entier à l’homo academicus. On pourrait s’attendre à ce qu’il ait traité, ici ou là, de la liberté académique. Pas du tout. Il s’est focalisé sur la reproduction sociale des élites par les grandes écoles et a glosé à l’infini sur l’école de l’inégalité sociale, sans jamais écrire – sauf à nous tromper – sur la liberté académique…