Introduction La récente crise sanitaire de la Covid-19 et les confinements qui en ont résulté ont remis en lumière l’importance de l’accès aux espaces verts urbains comme facteur de qualité de vie des citadins. Les bénéfices divers liés à ces espaces sont aujourd’hui bien documentés : amélioration de la santé physique et mentale, création d’îlots de fraicheur ou encore lieux propices aux activités physiques (Schindler et al., 2022). Bien que ces espaces aient acquis une véritable importance sociale, ils sont aujourd’hui potentiellement menacés par les politiques de densification menées dans les espaces urbains, dont l’objectif est la réduction des mobilités motorisées et de la consommation foncière. Passant du statut de « poumons verts » à celui de « dents creuses », ces espaces subissent ainsi de fortes tensions (Haaland et Van den Bosch, 2015), sous l’effet de la mise en concurrence des usages du sol entre espaces verts et création de nouveaux logements ou de zones d’activités dans les centres urbains (ibid). La réduction et la fragmentation des aménités vertes qui en découle concernent alors autant les jardins privatifs que les espaces verts publics (ibid). Dès lors, cette dynamique urbaine pose la question de l’accès aux aménités vertes pour les habitants des centres urbains. Les espaces verts se faisant plus rares, lorsqu’ils sont conservés, leur présence conduit bien souvent à une augmentation des prix de l’immobilier pour les logements avoisinants. Il en résulte une ségrégation socio-spatiale avec, pour les ménages les plus modestes, des possibilités d’accès aux espaces verts publics ou privés réduites (ibid). Ces disparités d’accès aux aménités, en particulier pour les milieux les plus denses, ont conduit à l’élaboration d’une « hypothèse de compensation » (Maat et De Vries, 2006). Selon cette hypothèse, les individus situés dans les quartiers les moins bien dotés en espaces verts développeraient des mobilités compensatoires pour accéder à ce type d’aménités. Néanmoins, des phénomènes tel que l’auto-sélection spatiale, c’est-à-dire, ici, le fait de choisir une localisation résidentielle en fonction de l’importance accordé à l’accès aux espaces verts, laisseraient supposer que ces déficits en aménités vertes ne sont pas nécessairement subits (Schindler et al., 2022). Bien que les travaux sur l’auto-sélection spatiale soient encore en cours, ils encouragent à considérer conjointement le couple environnement / individu pour questionner ces potentielles mobilités compensatoires. À ce jour, les travaux de modélisation des mobilités de loisirs montrent que les variables sociodémographiques, les attitudes orientées vers la nature, la satisfaction résidentielle ou encore le type d’habitat occupé par les individus, conduisent à des pratiques de mobilités différenciées pour accéder aux espaces verts (Maat et De Vries, 2006 ; Schindler et al., 2022). Pour aller plus loin, et afin d’appréhender conjointement ces dimensions sociales, géographiques et socio-cognitives tout en contrôlant les effets d’auto-sélection, nous mobilisons le concept d’identité d’habitation (Feldman, 1990). Ce concept, qui s’appuie sur les trajectoires résidentielles individuelles et les rapports aux lieux qui en découlent, permet de prendre en compte ces différentes dimensions de l’habiter en fonction d’identités spatialisées selon différents gradients d’urbanité, des centres urbains aux espaces ruraux.L’objectif de cette communication est alors de construire un modèle statistique permettant d’identifier l’influence de chacune de ces catégories de déterminant sur les distances parcourues pour se rendre sur les espaces verts. Par la prise en compte simultanée des caractéristiques sociodémographique, du contexte résidentiel, ainsi que des aspirations et trajectoires résidentielles (permettant d’approcher la notion d’identité d’habitation), les résultats attendus permettront de mieux comprendre pour quels types de lieux et pour quelles catégories de personnes des effets de compensation peuvent exister. Méthodologie Pour mener à bien ce travail, deux terrains d’études ont été choisis : les unités rbaines (UU) de Dijon et de Besançon, c’est-à-dire les deux plus grandes agglomérations de la région Bourgogne-Franche-Comté. Une unité urbaine étant définie selon un critère de continuité de bâti†, ce périmètre d'étude permet de ne pas prendre en compte les communes périurbaines peu denses et les zones rurales où les problématiques d'accès aux espaces verts sont évidemment bien moindres. Les deux unités urbaines retenues sont de taille relativement comparable : 138 000 habitants pour l’UU de Besançon et 244 000 pour celle de Dijon pour des surfaces respectives de 135 km² et 170 km². Quelques différences existent néanmoins entre nos deux cas d’études : l’unité urbaine de Dijon est moins bien pourvue en espaces verts que ne l'est celle de Besançon. Au-delà des quantités, des différences existent quant aux typologies d’espaces, l’UU de Dijon est principalement dotée d’espaces verts urbains (parcs et jardins), à l’inverse, l’UU de Besançon comporte davantage de grands espaces de nature à proximité de son centre. Afin d’interroger les pratiques de loisirs en espaces verts des habitants de ces deux agglomérations, un questionnaire, auto-administré en ligne, a été diffusé durant l’été 2021. Au total, 486 réponses exploitables ont été obtenues, l’enquête se présentait comme suit : – Dans un premier temps, les répondants devaient indiquer, à l’aide d’une liste d’items, quels étaient pour eux les critères importants ou non pour choisir leur environnement résidentiel. Parmi les différents critères proposés, certains portaient explicitement sur la présence d’espaces verts dans le quartier ou encore la possibilité d’y pratiquer différentes activités de loisirs. – Dans un second temps, il était demandé aux répondants d’indiquer, sur un fond de carte, à l’aide de polygones, de lignes ou de points, quels sont les espaces verts qu’ils ont l’habitude de fréquenter. Pour chacun des espaces référencés, il leur était demandé d’y détailler quels types d’activités, ils y réalisent, à quelle fréquence et quel mode de déplacement ils utilisent pour s’y rendre. – Enfin, les individus devaient renseigner un ensemble de variables sociodémographiques : leur âge, catégorie socio-professionnelle, revenus, composition du foyer, mais aussi leur domicile actuel et leur trajectoire résidentielle antérieure. Résultats attendus Les premiers résultats auront pour objectif de tester empiriquement l’hypothèse de compensation et reposerons sur une approche inter-groupe en fonction des différents contextes géographiques des individus, caractérisés par le niveau d’accessibilité aux espaces verts dans leurs quartiers, ainsi que d’une typologie basée sur les trajectoires et aspirations résidentielles reflétant leur identité d’habitation. Le nombre d’espaces fréquentés ainsi que les distances pour y accéder seront comparées selon cette partition inter-groupe. Dans un second temps, à l’instar des travaux cités précédemment (Maat et De Vries, 2006 ; Schindler, Le Texier et Caruso, 2022), les résultats reposeront sur une approche par modélisation statistique de la distance parcourues pour se rendre sur les lieux de loisir en espaces verts, afin de mettre en lumière le rôle respectif des variables contextuelles et individuelles derrière les différentes logiques de spatialisation de ces activités.