En 2018, Antoine Garapon et Jean Lassègue publiait la première version de leur essai Justice Digitale, essai par lequel les deux auteurs entendent décrire ce qui, sous influence des technologies informatiques, apparaît être un mouvement de transformation profonde du droit. En particulier, ceux-ci y adressent de sérieuses critiques à la promesse qui, à l’époque, devait conduire le raisonnement judiciaire à épouser les fonctionnalités des objets informatiques dits de « justice prédictive ». Depuis, avec l’entrée du décret n°2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives, et avec la publication du rapport « Cadiet » sur l’open data des décisions de justice, la justice prédictive, ou plutôt la fourniture de services et de logiciels permettant de figurer et d’anticiper l’issue du raisonnement judiciaire, n’en est plus au stade des promesses. Cet article se propose d’évaluer, à l’aune de ces évolutions, la pertinence des critiques émises par Antoine Garapon et Jean Lassègue à l’époque. Le constat est sans appel. Tant leurs éléments de critique fonctionnelle (la justice prédictive suppose d’être continuellement nourrie de nouvelles décisions qu’elle n’aura plus si elle venait à se généraliser), que leurs éléments de critique normative (la justice prédictive conduira au renforcement des tendances majoritaires dans les prétoires), semblent se vérifier. Sans doute ces critiques s’avèrent dès l’abord fondées si l’on passe le cap de voir dans les résultats que fournissent les objets informatiques de justice prédictive quelque chose de différent, en nature, de ce à quoi parvient le juge lorsqu’il rend une décision de justice. En somme, les instruments de justice prédictive ont des utilités, mais des utilités qui ne sont pas celles de la fonction juridictionnelle et du service public de la justice.