L'imaginaire portuaire comporte une face sombre, propre à entretenir les incompréhensions, les mépris et les peurs associés aux activités, comme aux hommes qui s'y côtoient, voyageurs inconnus et travailleurs indociles. Monde du mouvement, de la spéculation et du transitoire jusque dans l'intermittence de ses emplois, de l'épreuve de force quotidienne des manutentions et des relations professionnelles, les ports auraient des allures de jungle 1. « Affaires » et faits divers retentissants alimentent régulièrement la légende noire. Première étape d'une recherche en cours, notre contribution revient sur le cas de Marseille, dont la réputation croisée de ville cosmopolite et violente doit beaucoup à son statut portuaire 2. L'entrée par les modalités de la conflictualité sociale sur les quais n'est certes pas la seule envisageable. Du moins met-elle à jour des pratiques de longue durée, révélatrices de porosités combinées entre le port et son environnement, l'affrontement et la négociation, le visible et le clandestin, légal et l'illégal… Dans l'entre-deux-guerres, le syndicalisme portuaire marseillais fut l'un des principaux creusets du sabianisme, à la charnière du populisme fascisant, du clientélisme traditionnel et du crime. Trois décennies plus tard, le 16 mars 1966, cinq grévistes sont blessés, dont quatre par les balles d'un révolver, au cours d'une échauffourée entre des dockers en lutte et des « jaunes ». Trois hommes, Marsily, Santiago et Gomez, qualifiés par la presse communiste locale d' « hommes de main », sont condamnés. Les faits, leurs acteurs et enjeux donnent à comprendre la permanence de logiques et de pratiques portuaires. Le dossier des relations du port à la violence et à l'illégalité est donc lourd, ancien et complexe. Il en découle une propension portuaire aux « trafics » et ces réalités entretiennent une criminalité spécifique qui rejaillit sur les représentations de la ville. Les rudes affrontements entre le patronat, les syndicats et les autorités pour la maîtrise, voire le contrôle partiel, de cet espace social décisif de la cité atteignent un degré inédit de violence quand la pègre locale en voie 1 R. Cornu, « Dockers et manutentionnaires dans la jungle du port »,