En prenant pour point d’entrée les marchés de potiers, qui constituent des espaces de vente mais aussi de socialisation majeurs, ce texte explore les mécanismes de constitution de l’éthique professionnelle en jeu au sein d'une communauté d’indépendant·e·s. En sociologie des groupes d'intérêt ou des professions, l'informalité reste peu considérée dans ses effets structurants, à l'inverse de la formalisation des pratiques et savoirs professionnels ou des modes conventionnels de mobilisation. Or, si les céramistes se mobilisent par ailleurs en ayant par exemple recours au droit, nous montrons ici que la culture professionnelle se tisse aussi dans la trame de l’informalité : dans les relations affectives d'une part, dans les zones d’indétermination entre le travail et le hors-travail d'autre part, notamment à travers les "sanctions diffuses" qui se déploient autour de l'idée de "sympathie". Ce faisant, l'adhésion au groupe est perçue comme une participation à une dynamique spontanée et auto-instituée, plus que comme une soumission à des règles pré-établies. La solidité de la codification des normes qui s'effectue sur les marchés explique alors en partie la force de l'identité collective du groupe et sa capacité à se mobiliser dans d’autres arènes. Ce chapitre montre ainsi comment l’informalité est un puissant mécanisme de transformation de l'ethos professionnel - qui peut rester un schéma d’action impensé et non verbalisé - en véritable éthique professionnelle, c’est-à-dire un capital spécifique au groupe formalisé, explicité voire revendiqué. Cette continuité entre la formalisation des pratiques et leur déploiement informel constitue une piste pour comprendre les ressources dont disposent les groupes sociaux, comme leurs limites internes.