J'expose dans ce texte quelques enjeux liés à une conception du terrain comme relation sociale, accordant donc une place centrale à la dimension expérientielle de l’enquête et notamment au vécu de l’observateur en lien avec des enquêtés qui sont des Sujets, et non des "objets parlants". Je reviens en particulier sur la manière dont l’analyse du contre-transfert - soit l’existence de désirs, affects, peurs, modes de défenses chez l'enquêtrice - est propice au développement de considérations à la fois éthiques et scientifiques. Penser que l'on ne "récolte" pas des données mais qu'on les "produit" au gré de ce phénomène et des "anomalies" émotionnelles ou communicatives ou encore des "impuretés" - pour reprendre quelques termes utilisés dans la littérature en sciences sociales - présente de nombreuses vertus. Cette réflexivité se décline dans différentes temporalités : pendant la phase de prise de contact, plus tard lors des échanges formels et informels et enfin, lors de l’écriture. Concrètement, considérer ici les conditions dans lesquelles s’établit un lien avec des jeunes en situation de mobilité de l'Afrique vers l'Europe, se demander ensuite pourquoi ce lien perdure alors qu’il aurait en réalité toutes les chances de ne pas exister, puis s'interroger sur ce que l'on "tait" du contre-transfert ou ce que l'on dit à ces jeunes enquêtés, c’est en fait s’offrir les moyens de démultiplier les pistes d'analyse et de compréhension du terrain. Ce faisant, les pratiques méthodologiques d’enquête et d'écriture ne constituent pas juste des dispositifs et compétences techniques, mais bien des manières d’engager un rapport épistémologique et scientifique d'un côté, mais aussi éthique et politique au monde étudié de l'autre.