Parler de grotesque à propos du Quart livre apparaît comme une évidence. On peut s'exclamer à propos de maints passages du Quart livre : « Quel spectacle grotesque ! » ; « Quel portrait grotesque ! » ; « Quel combat grotesque ! ». Cependant, nous ne pouvons pas nous en tenir à cette impression première. La notion de « grotesque » est extrêmement labile dans la mesure où elle a, tour à tour, été adoptée par différents domaines artistiques et par différents théoriciens. Lorsqu'un lecteur de notre époque parle de grotesque, il entend à la fois « laid, bizarre, ridicule, embarrassant », et hérite en cela des conceptions romantiques du grotesque, essentiellement issues des textes critiques de Victor Hugo, de Charles Baudelaire et de Théophile Gautier. Si le sens courant de grotesque paraît pertinent pour évoquer les scènes fantaisistes de l'Odyssée bouffonne que joue Rabelais dans le dernier de ses livres authentifiés, cette épithète connaît néanmoins une histoire sémantique, culturelle, et critique complexe qu'il faut absolument interroger pour comprendre au mieux ce qu'elle implique. Nous aborderons la notion de « grotesque » de manière diachronique. Nous commencerons par éclairer le Quart livre à la lumière du grotesque hugolien, interrogerons ensuite la pertinence de la thèse du « réalisme grotesque » de Mikhaïl Bakhtine pour le Quart livre, et rétablirons, finalement, le sens historique de cette épithète, en tentant de dégager une manière grotesque dans ce dernier roman authentique.