Le contrat d’entreprise est un contrat qui est à la frontière du droit des contrats spéciaux et du droit commun des contrats, tant le droit commun s’est nourri du droit du contrat d’entreprise et réciproquement. Les réflexions menées lors de la rédaction de ma thèse sur les rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats ont pu être approfondies à l’occasion d’un colloque sur le contrat de travail à durée déterminée où je devais traiter du sujet suivant : « approche du droit commun des contrats : le contrat de travail, un contrat spécial ? ». La question pouvait paraître étonnante : le contrat de travail porte sur la force de travail du salarié, qui se place volontairement dans un état de subordination vis-à-vis de son employeur, et dont les droits et libertés sont susceptibles d’être mises en cause. Il obéit de ce fait à un corps de règles spécifiques, le droit du travail, qui a été modelé pour répondre à des difficultés qui lui sont propres et semble ainsi constituer l’archétype du contrat spécial. Et l’on trouve effectivement, parmi les règles applicables au contrat de travail, un corps conséquent de règles dérogatoires au droit commun des contrats. Cela se vérifie tout au long de la vie du contrat, depuis sa conclusion, puisque l’on ne peut pas choisir librement le type de contrat de travail que l’on va conclure ni les clauses que l’on va y insérer, en passant par l’exécution de ce même contrat, sa force obligatoire pouvant par exemple être suspendue en cas de maladie ou de grève du salarié, jusqu’à sa cessation. La rupture du contrat par l’employeur est en particulier fortement encadrée. Pourtant, malgré ces spécificités, le contrat de travail reste profondément soumis au droit commun des contrats, dont l’article L. 1221-1 du code du travail fait d’ailleurs une source du droit du contrat de travail. Le droit commun des contrats est ainsi sollicité pour régir toutes les questions qui, telles que celle des vices du consentement, ne sont pas spécifiquement réglementées par le droit spécial du contrat de travail. Mais, ce qui est remarquable, c’est que le droit commun des contrats est régulièrement invoqué par la Chambre sociale de la Cour de cassation au soutien des objectifs propres au droit du travail. C’est ainsi que, par exemple, le principe de l’immutabilité des conventions permet d’interdire à l’employeur de modifier unilatéralement le contenu du contrat, le pouvoir de direction dont il dispose l’autorisant seulement à changer les « conditions de travail » de son salarié, le salarié pouvant refuser toute modification de son contrat, y compris celle qui interviendrait à titre disciplinaire. L’ancien article 1134 alinéa 3 du code civil selon lequel le contrat doit être exécuté de bonne foi est également régulièrement cité par les tribunaux pour sanctionner certains comportements de l’employeur, et ce, alors même que ce principe est repris à l’article L. 1222-1 du code du travail. D’ailleurs, lorsqu’il n’est pas appliqué directement, le droit commun des contrats peut simplement servir de source d’inspiration au droit du contrat de travail. C’est ainsi que la prise d’acte, qui permet à un salarié de constater que l’employeur cesse de remplir son engagement et de prendre acte de la rupture du contrat de travail par ce dernier, n’est pas sans rappeler la rupture unilatérale du contrat aux risques et périls de son auteur, reconnue depuis 1998 par le droit commun des contrats. L’influence du droit commun des contrats sur le droit du contrat de travail pourrait d’ailleurs se faire croissante : les préoccupations du droit commun des contrats évoluent. Une place plus importante est accordée à la protection de la partie faible, comme en témoigne l’introduction dans le code civil, à la faveur de la réforme du droit des contrats, de mécanismes qui lui étaient jusque-là étranger tels que le droit de rétractation, l’abus de faiblesse, ou encore l’interdiction des clauses abusives dans les contrats d’adhésion. La Chambre sociale de la Cour de cassation pourrait ainsi trouver dans le droit commun des contrats de nouveaux appuis pour répondre à des questions nouvelles posées par le contrat de travail.