Dans un livre célèbre, Aristotle and the Stoics, F. Sandbach soutient que les stoïciens n'avaient pas lu Aristote. Sandbach a raison qu’il est assez vraisemblable que Chrysippe n’avait guère lu les traités scolaires d’Aristote, et qu’il avait peut-être surtout lu les dialogues perdus. Son Aristote n’est pas le nôtre. Mais il ne semble guère crédible que ni lui ni Zénon n’aient connu les thèses des Éthiques et se soient contentés de s’attaquer à l’éthique du Protreptique et du dialogue Sur la justice comme le soutient Sandbach. Certaines des positions de Chrysippe ne peuvent guère s’expliquer autrement que comme une réaction aux thèses éthiques d’Aristote, et plus particulièrement à celles du livre I de l’Éthique à Nicomaque et des livres communs sur la justice et les vertus intellectuelles, mais aussi du livre X. Peut-être les stoïciens n’ont-ils pas lu les Éthiques, mais il paraît quasi certain qu’ils ont entendu parler de leur contenu. Qu’ils aient discuté les thèses d’Aristote par ouï-dire n’a rien d’impossible. L’une des conclusions que l’on peut tirer de l’influence des Éthiques d’Aristote sur les stoïciens à l’époque hellénistique est que c’est l’Éthique à Nicomaque plutôt que l’Éthique à Eudème qui a dû exercer une influence à l’époque hellénistique. Que cette influence ait été directe ou non, c’est-à-dire qu’elle ait reposé ou non sur une lecture de l’Éthique à Nicomaque est sans doute impossible à décider, mais c’est sans doute une question moins importante que celle de savoir quelle est la version des Éthiques qui a exercé une influence durable durant cette période.