La musique joue un rôle de premier plan dans le film No de Pablo Larraín, un rôle ambivalent qui oscille constamment entre empathie et décalage ironique. Elle semble remplir, en premier lieu, une fonction de support empathique de l’élan qui portera une majorité de Chiliens à voter « No » au référendum du 5 octobre 1988. Il s’agit alors principalement de chansons intradiégégiques, de citations de morceaux composés ou utilisés lors de la campagne de 1988 par les partisans du « No », s’opposant aux mélodies choisies pour illustrer l’option du « oui ». Néanmoins, la fonction empathique des chansons est mise à distance dans le film par l’intermédiaire des écrans, dont les surcadrages permanents créent un filtre qui renvoie au décalage entre les différentes temporalités, diégétique et de réalisation – tout comme la participations de certains protagonistes de 1988, mais ayant vieilli de 25 ans. Ces procédés, guident la perception du spectateur de la deuxième décennie du XXIe siècle qui est invité à adopter un premier recul par rapport à la vague d’enthousiasme destinée à emporter l’adhésion des chiliens de la fin des années 80, tout en renforçant, par ailleurs l’aspect ridicule des mélodies choisies pour appuyer l’option « oui » à travers le filtre des réactions des personnages. La partition extradiégétique, principalement composée de citations d’œuvres de répertoire, introduit une distance ironique par rapport aux images, imposant une écoute consciente au spectateur, l’invitant à prendre un recul critique par rapport à ce qui lui est donné à voir. Enfin, les rares moments de musique originale, dans le registre du pastiche postmoderne, en revendiquant le caractère fictionnel de l’œuvre en tant que « reportage fabriqué », invitent également le spectateur à une lecture critique.