Dans les premiers monuments de l’Inde, inspirés du bouddhisme, la guerre n’occupe qu’une place très restreinte. Encore n’y est-elle pas tout à fait absente : l’assaut des démons de Māra contre Śākyamuni pour l’empêcher d’accéder à l’Eveil n’est certes qu’un mirage mais même s’il s’agit là d’une pure métaphore, la scène nous apporte parfois un témoignage sur l’aspect et la constitution des armées indiennes. Si l’Inde était restée majoritairement bouddhique comme elle l’était aux environ de notre ère, il est probable que le thème y serait resté très mineur, le bouddhisme ayant fait de la non-violence (ahimsā) une valeur absolue, avec laquelle il se refuse à transiger ou composer. L’émergence de l’hindouisme à partir de la période gupta (IVème-VIème siècle) modifie profondément la perspective : si l’ahimsā reste une vertu majeure, l’équilibre socio-cosmique y suppose une tension permanente entre les forces divines et démoniaques ; la guerre est parfois nécessaire et même inévitable, il y a des combats légitimes, s’ils sont menés sans passion et dans un esprit de justice, ainsi peut se résumer l’enseignement de la Bhagavad Gītā, ce texte clé de l’hindouisme dévotionnel. Selon les traités d’esthétique indiens, le sentiment héroïque (vīra-rasa) est l’une des huit émotions dominantes que peut susciter une œuvre d’art et il s’est largement exprimé dans la sculpture comme dans la peinture, où l’idéologie royale s’est mise en scène à travers les dieux et les héros épiques. Comme presque toute la sculpture indienne se compose d’images réalisées pour les temples hindous, s’interroger sur les représentations de la guerre dans l’art de l’Inde revient à se demander quelle place leur a été faite dans les sanctuaires et comment elles s’insèrent dans un programme iconographique fondamentalement religieux, dont l’objet est de donner corps et forme au dharma, à l’harmonie universelle. À cet égard, on peut distinguer deux types de réalisations : les premières mettent en scène les dieux, les secondes retracent le parcours de héros qui sont des hommes, même lorsqu’ils sont fils ou incarnations des dieux. À côté des mythes qui relatent les exploits divins, les deux épopées, Rāmāyaṇa et Mahābhārata, narrent la geste parallèle des rois, qu’il s’agisse de Rāma, ou des Pāṇḍava. Les deux récits s’achèvent par un conflit aux dimensions cosmiques au terme duquel la victoire des héros, comme celles des dieux, marque la restauration du dharma, de l’équilibre du monde. Il faut signaler en outre l’existence d’une catégorie de reliefs sculptés qui se rattachent à la thématique de la guerre et n’appartiennent pas à la sculpture des temples : il s’agit des « pierres de héros » (vīrakal), stèles funéraires destinées à commémorer les soldats morts au combat que l’on retrouve sur tout le territoire de l’Inde, avec une densité plus forte dans certaines régions, notamment le Karnataka. Comme les textes épiques et leurs illustrations, ces stèles exaltent le courage des hommes prêts à sacrifier leur vie et célèbrent les valeurs des kṣatriya, qui forment la caste militaire. À partir du XVIIème siècle, la peinture connaît un essor sans précédent à la cour moghole et dans les royaumes hindous de l’Inde du nord et du Deccan. Destinées plus directement au plaisir et au prestige des commanditaires, les images s’insèrent dans des manuscrits ou des séries de folios, accompagnent le texte ou le remplacent. L’illustration des épopées continue à y occuper une place notable, même si d’autres thèmes leur sont souvent préférés, l’émotion amoureuse (śṛṅgāra-rasa) ayant été considérée dès les débuts de l’esthétique indienne comme la source principale de la création artistique, loin devant le vīra-rasa. Paradoxalement les seules séries à peu près complètes tirées du Mahābhārata qui soient parvenues jusqu’à nous furent réalisées à la cour moghole.