Pour comprendre comment les enseignant.e.s catégorisent leurs propres élèves, nous avons demandé, à plus de 60 professeur.e.s de 6 lycées, de nous indiquer les élèves qui selon eux avaient des similitudes entre eux. Cette méthodologie, couplée à des entretiens individuels, permet de mettre en relation les catégorisations enseignantes (comment ils.elles catégorisent leurs propres élèves) avec des règles d’actions de type traitements différenciés en classe. ----------- La construction des jugements scolaires est ici approchée par les catégories produites par les enseignant.e.s. On suppose que pour évaluer mais également pour mener un ensemble de tâches du quotidien, il.elle.s distinguent, classent, catégorisent leurs élèves. Avant même les premières évaluations, avant même les conseils de classe, comment les élèves d’une classe sont-ils catégorisés par leurs enseignant.e.s ? Sur quelles catégories se fondent ces premiers jugements ? Pour répondre à ces questions, une recherche est menée auprès de 6 classes de lycées, soit près de 70 enseignant.e.s : elle rend compte des différentes catégorisations dont sont objets des élèves identifiés. Elle interroge la construction des jugements scolaires et leurs liens avec les actions des enseignant.e.s, ces dernières influençant de manière importante l’activité des élèves et les élèves eux-mêmes (Bressoux et Pansu, 2003, (Bressoux, 2003). ). Par des entretiens individuels, les enseignant.e.s des 6 équipes distinctes ont procédé à un classement de type « regroupement par similitude » de leurs élèves (une seule classe d’élèves par établissement a fait l’objet de l’enquête) selon les critères de leurs choix, afin de permettre aux chercheures de comprendre leur façon de percevoir les jeunes. Quelles sont les catégorisations mises en avant par les enseignant.e.s ? Sur quelles dimensions portent-elles ? Un traitement qualitatif de l’ensemble des catégorisations montre que ces dernières portent en partie seulement sur des caractéristiques sociologiques (origine familiale, genre …). Nombreuses catégorisations enseignantes sont associées à des règles d’action. En d’autres termes, la façon de percevoir les élèves, et le système de classement qui organise cette perception venant structurer la pratique (Bourdieu & de Saint Martin, 1975), ont un lien sur l’agir en classe, notamment en termes de traitement différencié. Les catégorisations sont en lien avec les règles d’action déclarées des enseignant.e.s. A l’échelle de la classe, nous montrons par exemple des formes différenciées relatives à une certaine reconnaissance envers des élèves catégorisés comme « avec lesquels je suis sur un registre affectif » parce qu’on « est fier d’eux » au détriment d’autres avec lesquels la relation sera plus « hermétique », fermée. Cette fermeture dans la relation est en lien avec des élèves catégorisés comme « pas agréables, provocateurs » : « je suis plus sur la défensive, si je vois qu’ils ne font rien, je vais peut-être pas les interroger en sachant qu’ils n’auront rien à répondre… ». Nous rendons également compte de règles d’action qui consistent à s’adapter aux plus faibles quitte à réduire les exigences des contenus à enseigner, à délibérément ne pas prendre en charge des élèves catégorisés comme « pas éduqués », probablement parce qu’éloignés du métier d’élève (Perrenoud, 1995) tout en privilégiant des élèves « sympathiques et attachants alors que c’est pas eux qui auront le plus besoin d’aide », enfin à réguler la participation (freiner les « communicatifs » et solliciter plus souvent « les non communicatifs ») Outre la présentation des résultats, la communication discute la méthodologie originale développée pour cette recherche qui vise à mettre en évidence les catégorisations en éducation. Bourdieu, P., & de Saint Martin, M. (1975). Les catégories de l’entendement professoral. Actes de la recherche en sciences sociales, 1(3), 68 93. https://doi.org/10.3406/arss.1975.3413 Bressoux, P. (2003). Jugements scolaires et prophéties autoréalisatrices : anciennes questions et nouvelles réponses. Les Dossiers des Sciences de l’Education, 10, 45-58. Bressoux, P., & Pansu, P. (2003). Quand les enseignants jugent leurs élèves. Paris, Presses Universitaires de France. Perrenoud, P. (1995). La fabrication de l’excellence scolaire. Genève, Droz.