Autour d'un lévrier noir Dante ou l'Apocalypse contenue 1. Dante rétenteur des derniers temps L'oeuvre de Dante est moins apocalyptique qu'on ne le croit. Les citations de l'Apocalypse abondent, les menaces sur les temps futurs sont explicites, les références aux grands théologiens de l'Apocalypse, Joachim de Flore en premier, abondent, mais l'oeuvre est trop ancrée dans la terre et trop taillée pour l'éternité pour se livrer sans frein aux derniers temps. La question de l'Apocalypse, si on la libère un instant de son vêtement théologique, est d'abord celle de l'événement. « Les temps sont proches », cette exclamation est aussi bien celle de saint Jean que de Savonarole. Mais Dante est plus celui qui retient l'événement plus qu'il ne cherche à le précipiter. Il entrave autant qu'il annonce. Maître de l'oeuvre absolue, fermée sur sa clôture et sa vérité, il coule le temps de la nouvelle terre et du nouveau ciel dans le temps unique de l'oeuvre. Il est moins celui qui crie dans le désert que celui qui élève un rempart autour de la ville. On ne peut se contenter de lire le vers dantesque en oubliant qu'il est un vers, ni entrer dans l'aventure de Béatrice sans se souvenir qu'elle est déjà dans une rose céleste qui n'attend plus que quelques élus pour se clore sur son opulence. Dante est trop éternel pour se vouer à la seule gloire d'un événement. Dante ne se contente pas du point de vue du Fils, il règne dans le temps du Père. Or le Père de justice peut regarder de loin les aléas de la rédemption. Il en détient seul l'alpha et l'oméga. A bien y réfléchir, Dante s'accorderait volontiers à l'un de ces « katekhon », de ses rétenteurs du temps, dont parle l'apôtre Paul dans sa deuxième lettre aux essaloniciens : Et nunc quid detineat scitis, ut reveletur in suo tempore . Nam mysterium jam