De l’aveux même de Marceline Desbordes-Valmore, ses vers s’inspirent formellement de la chanson : « Je les essaie sur des airs que j’adore et qui me forcent à mon insu à plus de rectitude sans distraction. » [lettre du 23 décembre 1837 à Antoine Latour] Paradoxalement, le genre ? populaire lui permet d’approcher une sorte de formalisme revendiqué en même temps que minoré. La forme chantée est envisagée à la fois comme un ferment de stabilité métrique en même temps que comme la manifestation d’un rythme naturel et spontané. Les Pleurs est sûrement le recueil où cette influence profonde et contradictoire est la plus structurante. L’impact de la chanson s’y exerce d’abord sur la rhétorique profonde du poème. L’usage du vers, de la strophe (du refrain, en particulier, mais pas uniquement), mais aussi des tonalités et de l’énonciation, en porte la trace. Raccourcissements métriques, rythmes capricants, hétérométrie sont autant de traits formels qui se déploient alors dans certaines des pièces de ce recueil élégiaque, contribuant à mettre la douleur en sourdine. Par ailleurs, la chanson est structurante dans le recueil car la figure de Béranger y est massivement présente : il est cité de nombreuses fois dans les épigraphes, et un poème lui est consacré. Il peut apparaître comme un modèle de poète qui met à profit une forme d’inspiration populaire à des fins tour à tour élégiaques et politiques. La chanson est donc thématiquement présente, par le jeu des citations, mais aussi par la figure très présente de l’oiseau chanteur, et de l’écho de voix lointaines qui susurrent des souvenirs profonds. Son influence, formelle autant que thématique, permet un léger pas de côté dans le recueil élégiaque. La simplicité presque enfantine qui la caractérise permet de révéler la part intime du deuil.