Dans la tradition indienne le noir est conçu comme une couleur. C’est l’une des trois teintes primordiales auxquelles toutes les autres se rattachent plus ou moins. Comme le rouge et le blanc c’est d’abord une catégorie symbolique, qui correspond à l’une des trois qualités entrant en doses variables dans tous les phénomènes : le noir renvoie au tamas – inconscience, inertie, matière, puissance de destruction, par opposition au blanc, qui représente le sattva- lumière, pureté, conscience-, et au rouge, couleur du rajas – passion, action, vie-. Les deux termes les plus utilisés en sanskrit pour désigner le noir sont les mots kāla et kṛṣṇa. Ils évoquent les deux pôles, négatif et positif, entre lesquels oscille la valeur sémantique du noir : le mot kāla désigne aussi le temps et par conséquent la mort et la destruction, associées souvent à la couleur noire, tandis que l’adjectif kṛṣṇa qui est aussi le nom du dieu-héros avatar de Viṣṇu dérive de la racine verbale kṛṣ, qui signifie labourer. Autrement dit le noir est la terrifiante couleur de la mort, mais il est aussi la couleur de la terre, et de l’existence terrestre. Cette communication examine dans quelle mesure ces conceptions s’illustrent dans trois styles de peinture qui s’épanouirent entre le XVIIe et le XVIIIe siècles au sein des cours princières de l’Inde du Nord : les écoles du Malwa et du Mewar, apparues en Inde centrale et au Râjasthan, ainsi que l’école pahārī de Basohli, qui s’est développée dans les collines du Penjab. Ces trois écoles s’apparentent en effet par l’usage qu’elles font du noir, et la place qu’elles lui donnent dans leurs créations, qui les distinguent aussi des autres courants picturaux contemporains.