À la pointe orientale de l’île de Flores, en Indonésie, une tradition musicale met en jeu deux parties vocales qui s’entrelacent selon un système contrapuntique rare et non encore documenté. Les intervalles harmoniques sont étroits (du demi-ton à la tierce au maximum). Le « doux-rugueux » y est verbalisé comme idéal esthétique [Rappoport, 2015]. Un premier chanteur lance le chant, le second le suit en imitation, puis tourne autour de la « note » du premier qui, à son tour change légèrement de fréquence, ce qui fait réagir le second et ainsi de suite, selon un grand nombre de modèles mélodico-rythmiques, avec une marge d’autonomie stylistique propre à chaque chanteur. Une interaction permanente entre les deux voix est à l’œuvre : les voix se cherchent tout en évitant l’unisson, ce qui implique que les chanteurs contrôlent leur manière de s’ajuster ensemble afin de maintenir un écart précis entre entre leurs deux voix qui se croisent. Pour les chanteurs, les contraintes vocales sont donc de natures diverses : 1) maintenir la fréquence stable sur une durée minimale (0,5 s) pour que du duo résultent soit des intervalles harmoniques soit des battements de rapidité contrôlée, 2) ajuster l’équilibre musical entre les voix et contrôler l’émission vocale, en particulier celle de la voyelle, dont les formants contribuent à la perception de rugosité des moments stables. L’analyse spectrographique offre une représentation objective de la structure des duos et les mesures de fréquences font état de la précision des relations temporelle et fréquentielle entre les deux chanteurs. La communication vise à présenter une analyse acoustique de ce jeu vocal et en particulier du caractère paradoxal « doux-rugueux ».