De juillet 1931 à novembre 1932, l'ethnographe français Jehan Vellard a traversé le Paraguay, du Chaco à l'Oriente, dans le cadre d'une mission scientifique commanditée par Paul Rivet pour le musée d'ethnographie du Trocadéro. Celle-ci était en cours quand la guerre du Chaco (9 septembre 1932-12 juin 1935), qui a opposé le Paraguay à la Bolivie, a éclaté. Mais le Chaco était déjà un territoire militarisé bien avant l'arrivée de Vellard, qui s'y était rendu malgré la situation. Après diverses mésaventures, il a renoncé à travailler sur ce terrain disputé et décidé de continuer son voyage dans la région du Caaguazú, à l'est du pays. C'est là que son travail ethnographique commence véritablement. Attiré par la perspective de rencontrer un « peuple primitif » « peu connu » et « mal étudié », il s'impose de résoudre cette « énigme ethnographique 1 » et y parvient « au péril de sa vie 2 ». Cette expérience « documentaire tournée sur place » constitue la matière première de deux ouvrages : un texte scientifique 3 et un récit de vulgarisation sur les Indiens guayaki 4. En Europe, l'histoire de l'intrépide scientifique est bien connue des initiés grâce aux rapports de missions rédigés par Vellard et aux nouvelles écrites par son mentor, Paul Rivet, dans le Journal de la Société des Américanistes. Le compte rendu de cette expédition semble même avoir inspiré la palpitante course poursuite de Tintin dans L'Oreille cassé (1937). L'image du voyageur solitaire, à la Indiana Jones, qui brave seul tous les dangers dans la quête d'un trésor pour la science est un mythe tenace. Dans le cas présent, Vellard était bien sur le terrain en temps de guerre, ce qui ne manque pas d'interroger. Pourquoi, en effet, travailler dans ce contexte risqué qui complique les aspects logistiques et menace les résultats attendus ?