Depuis le 17 juillet 2021 et les premières manifestations anti-pass sanitaire, journalistes, agents du renseignement territorial et chercheurs en sciences sociales ont pu être tentés de comparer les Gilets jaunes aux anti-pass. Ils se sont notamment interrogés sur la place occupée par les Gilets jaunes dans ces manifestations. Ces questionnements témoignent de l’émergence des Gilets jaunes comme nouveau sujet politique dans l’espace public. Les enquêtes révèlent une surreprésentation des participants au mouvement des Gilets jaunes au sein des cortèges anti-pass, même si elles indiquent que les profils sociologiques des protagonistes des deux mouvements diffèrent sensiblement. Dans cette communication, nous examinerons la difficile convergence entre les acteurs des deux mouvements dans un département du Berry. Nous dévoilerons les conflits qui se nouent localement entre Gilets jaunes et anti-pass sanitaire. Notre analyse reposera sur deux enquêtes ethnographiques menées par observation participante : une première menée entre décembre 2018 et aujourd’hui auprès de Gilets jaunes sur des ronds-points ainsi que dans des manifestations et une seconde conduite à partir de juillet 2021 auprès de participants au mouvement contre le pass sanitaire. Nous mobiliserons à la fois des entretiens semi-directifs réalisés avec des Gilets jaunes et avec des anti-pass sanitaire. Nous nous tournerons également vers les réseaux sociaux numériques sur lesquels les deux mouvements se sont constitués. Nous réaliserons une étude qualitative des échanges entre Gilets jaunes et anti-pass sanitaire berrichons tenus sur des groupes Facebook, sur des conversations Messenger et Telegram ainsi que sur des profils Facebook personnels d’acteurs des deux mouvements. Nous montrerons que les conflits locaux entre Gilets jaunes et anti-pass sanitaire s’expliquent d’abord par des mots d’ordre distincts (égalité et justice sociale d’une part, liberté de décision sur les questions de santé d’autre part). Si les Gilets jaunes berrichons qui demeurent engagés en 2021 rejoignent massivement les cortèges contre le pass sanitaire, plusieurs figures des anti-pass berrichons refusent de participer aux occupations de ronds-points organisées à partir d’octobre 2021 par des Gilets jaunes qu’ils considèrent avant tout comme des « consommateurs » en quête de pouvoir d’achat auxquels ils ne souhaitent pas être associés. Nous soulignerons ensuite que la convergence entre les acteurs des deux mouvements est rendue difficile par des préférences différentes en termes de répertoire d’action collective. Parce qu’ils peuvent utiliser des pétards et des fumigènes, tenter de pénétrer dans l’hôtel de ville pour décrocher le portrait officiel d’Emmanuel Macron, dévier du parcours de la manifestation déclaré en préfecture ou prendre à partie des journalistes, les Gilets jaunes berrichons sont régulièrement qualifiés de « casseurs » ou de « violents » par des manifestants contre le pass sanitaire qui affichent leur volonté d’être « pacifistes ». Enfin, nous mettrons en évidence que les conflits entre Gilets jaunes et anti-pass sanitaire prennent la forme d’une opposition « politisés » / « apartisans ». Alors que les leaders locaux du mouvement contre le pass sanitaire prônent une « neutralité politique », des Gilets jaunes qui se sont rapprochés de partis d’extrême gauche et ont investi la compétition politique s’affranchissent de toute stratégie de discrétion et refusent de « pratiquer la composition » en brandissant des drapeaux antifascistes ou en scandant que « tout le monde déteste la police ». En dépit de ces divergences, Gilets jaunes et anti-pass se mobilisent conjointement dans le Berry à la suite de l’allocution d’Emmanuel Macron du 12 juillet 2021 parce qu’ils partagent une même opposition au pass sanitaire et, très largement, des réticences vis-à-vis des vaccins contre la Covid-19. Nous nous appuierons sur ces résultats pour discuter de la nécessité de prendre en compte la manière dont les questions de crédibilité politique et de crédibilité scientifique peuvent se croiser au cœur des tensions au sein des mouvements sociaux.