L’art de penser aux autres et avec eux : ce pourrait être une définition de l’intelligence. C’est aussi ce qui met en mouvement les femmes et les hommes de revue. Il y a certes des revues d’un seul (l’exemple fameux est celui des débuts de Die Fackel (1) entièrement pensé, écrit, composé par Karl Kraus), mais le plus souvent, la revue est la matérialisation d’une conversation, d’un échange, d’une lutte à plusieurs. Pour être dans les revues, il faut aimer l’accord et le désaccord et accepter que les idées ne soient pas à soi ni toutes seules. J’ai participé à un nombre considérable de revues. Je ne sais comment le raconter. Je pourrais procéder à un classement : les revues savantes, les revues d’idées, les revues d’intervention, les revues de création. Une autre typologie pourrait distinguer les revues dans lesquelles je ne suis intervenue qu’une seule fois, celles où je suis intervenue plusieurs fois et celles dans lesquelles je me suis tant investie que j’y ai publié un nombre incalculable de fois. Ou encore les revues disparues et les revues pérennes. Les revues qui paient (rares) et celles qui ne paient pas. Les revues existantes et les revues à naître (j’ai fait plusieurs fois partie de groupes destinés à fonder une revue qui n’a pas vu le jour ou qui n’ont connu qu’un numéro zéro – et d’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi on appelait « zéro » un numéro dans lequel on plaçait autant d’enthousiasme et d’énergie). Je pourrais donner une liste alphabétique, une liste chronologique ou une liste géographique. Je vais les nommer dans le désordre et sans souci d’exhaustivité, en particulier pour les revues savantes dont l’énumération serait fastidieuse : Critique, La Quinzaine littéraire, R de réel, Bleue, Agenda de la pensée contemporaine, Littérature, Europe, Art Press, Modern Language Notes, Po&sie, La Revue des revues, Genesis, Le Magazine littéraire, Non Fiction, Littera, Hi.e.ms, Bottom, Les Inrockuptibles, La Polygraphe, la N.R.F., Revue des deux mondes, Vacarme, En attendant Nadeau, Modernités, De(s)générations… Qu’il y ait dans cette liste des lieux qu’on appelle journaux, ou magazines et qui ne sont pas strictement des revues m’importe peu car dans tous les cas, il s’agit de penser aux autres et avec eux. (1) cf Marianne Dautrey, « Le drame de la parole, Die Fackel / Le Flambeau de Karl Kraus (1899-1934) », La Revue des revues, n° 37, juin 2005.