« La télévision et la radio sont aujourd'hui des moyens importants pour expliquer, pour communiquer avec les citoyens. Chacun son style, moi j'ai choisi comme approche de dire ce que je pense, sans précaution tactique, sans préparation spéciale 2. » Questionner les qualités de pédagogie et d'urbanité de Jacques Delors déployées dans le cadre d'une émission de télévision pour aborder des thématiques plus larges, celles de la communication politique, de l'histoire de la deuxième gauche, des premières années du mitterrandisme au pouvoir, telle est l'ambition de cette contribution 3. Étudier L'Heure de vérité du 18 juin 1984, relève de cette logique. Ministre de l'Économie et des Finances du troisième gouvernement Mauroy, Jacques Delors est alors âgé de 59 ans 4. Dès sa prise de fonction, il manifeste une vive inquiétude vis-à-vis de la politique économique menée. C'est aussi lui qui est à la manoeuvre dans l'institution du plan de rigueur annoncé le 25 mars 1983. Réduction des dépenses dans le secteur public, suppression d'emplois dans la sidérurgie, les mines et l'industrie navale : telles sont quelques-unes des mesures que Delors estime nécessaire. Or, en 1984, l'heure électorale est difficile : après de mauvais résultats pour la majorité électorale issue des urnes en 1981 aux élections municipales de mars 1983, les élections européennes du 17 juin 1984 demeurent peu favorables à la gauche : elles manifestent un recul contenu du Parti socialiste (-2,75 % par rapport à 1979) et une chute, plus spectaculaire, du Parti communiste (-9,3 %). Jacques Delors est invité sur Antenne 2 pour commenter ces résultats. Il choisit d'utiliser la tribune médiatique de L'Heure de vérité pour réaffirmer la nécessité de la politique adoptée, la justifier et tenter une nouvelle explication du choix de la « rigueur ». Le ministre saisit l'occasion d'affirmer ses convictions sur l'exercice du pouvoir en démocratie et l'exercice de la fonction présidentielle. Dès lors, en quoi consiste l'exercice de « pédagogie politique » télévisuel ? Censé réduire l'écart entre les décisions et les aspirations de la société civile, ses concepteurs, comme les acteurs politiques qui s'y plient, le conçoivent comme pleinement démocratique. À ce titre, ce moment « de vérité » peut paraître exemplaire. Mais de quoi ? De talent pédagogique ? De communication ? De conduite politique ? La question est d'autant plus cruciale que la communication politique, comprise comme un ensemble de techniques structurées autour du marketing, s'institutionnalise au début de ces années 1980 et se dote d'une cohorte de spécialistes, des sondeurs aux conseillers en communication des hommes politiques.