Cesarini et Vuilletet (2018), en soulevant la question du rassemblement d’acteurs locaux autour de projets de développement territorial, ont identifié l’importance du rôle des entreprises dans les territoires. Ils souhaitent ainsi favoriser l’investissement et l’implantation des entreprises dans leurs territoires en proposant de compléter la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) par une « Responsabilité Territoriale des Entreprises » (RTE). D’après ces auteurs, cette nouvelle notion, bien qu’encore floue, se baserait non pas sur un ancrage résumé à l’organisation des interactions avec les parties prenantes du territoire, mais plutôt sur une forme d’ancrage au territoire où les entreprises contribuent à l’aménagement de celui-ci. On peut alors se demander quelle est cette forme, et quelles sont ses spécificités ? Pourquoi, la manière dont on définit l’ancrage n’interroge pas la contribution de l’entreprise à l’aménagement du territoire ? Pour répondre à ces questions, il faut alors se plonger dans toutes les dimensions de ce phénomène et observer plus précisément les interactions entre entreprises et territoires. Bousquet définit l’ancrage territorial comme « le processus et le résultat d’interactions entre une entreprise et son territoire fondés sur la volonté de créer collectivement des ressources communes spécifiques et localisées, permettant une longue période de sédentarité d’une entreprise » (Bousquet 2014). Cela place la notion de l’ancrage territorial dans le temps long. Or il n’existe actuellement pas de grille d’analyse permettant de suivre ce phénomène dans le temps, ou qui prend en compte ses différentes dimensions que sont : l’ancrage physique, les liens marchands et non marchands que l’entreprise noue avec le territoire, ainsi que la création, captation et le partage de valeur et de ressources. Loup et Leyronas (2021), proposent une grille qui permet de cerner la dynamique des ressources et des capacités activées lors de l’ancrage territorial d’un entrepreneur, mais celle-ci est incomplète, par exemple, les effets directs et indirects des différentes interactions ne sont pas visibles. On se demande ainsi, comment observer les interactions entre une entreprise et son territoire ? Et comment caractériser l’ancrage d’une entreprise ? L’objectif de notre proposition est donc de présenter une grille d’analyse permettant de caractériser l’ancrage territorial d’une entreprise afin de mieux comprendre les liens matériels et immatériels entre territoire et entreprise et enrichir ainsi la notion de « Responsabilité Territoriale des Entreprises ». Pour construire une grille d’analyse répondant à cet objectif, nous avons réalisé une revue de littérature sur le phénomène d’ancrage territorial. La notion d’ancrage territorial a commencé à être développée dans les années 1990 par le groupe Dynamique de Proximité regroupant des chercheurs de l’économie spatiale/régionale et de l’économie industrielle (Torre et Talbot 2018), et conduit à la définition proposée par Bousquet (2014). En science de gestion, l’ancrage d’une entreprise sur son territoire est le plus souvent évoqué comme faisant partie d’une stratégie de territorialisation (Saives, Desmarteau, et Kerzazi 2011; Le Gall, Bougeard-Delfosse, et Gentric 2013). En effet, le territoire peut être perçu par les entreprises comme un réservoir de ressources à exploiter, mais il peut aussi être vu comme un construit, où les entreprises vont co-construire et activer des ressources et compétences territorialisées (Saives 2002). L’ancrage territorial est donc une forme de territorialisation, et le considérer ainsi, met en avant l’importance des relations entre les acteurs privés et publics du territoire, ainsi que des proximités et capitaux mobilisés dans le développement de ce phénomène. Les entreprises semblent être au cœur du processus d’ancrage territorial et sont amenées à mobiliser des leviers tels que la capacité de l’entreprise à proposer une offre sur mesure localisée, qui vont être différents d’une entreprise à l’autre en fonction de sa stratégie, et plus précisément de l’échelle spatiale à laquelle sa sphère d’influence se situe. Il nous semble alors important de s’attarder sur les mécanismes de développement de l’ancrage sur un territoire à travers les proximités activées et les ressources territoriales mobilisées. En mobilisant la grille des proximités (Boschma 2004) couplée à celle des capitaux (Gobert et Brullot 2017), on cherchera à comprendre comment les actions collectives qui incluent l’entreprise et d’autres acteurs du territoire tels que les associations de citoyens, les collectivités locales, ou encore les chambres consulaires, se construisent, les objectifs qu’elles poursuivent, les ressources qu’elles mobilisent, et celles qui en résultent. Ces ressources, qu’elles soient créées ou mobilisées, peuvent être immatérielles et matérielles, renvoyant à la dimension physique de l’ancrage au territoire qu’il nous semble important d’intégrer, car elle permet une meilleure appréhension des effets de l’ancrage. Nous proposons donc une grille d’analyse qualitative pour appréhender la dimension immatérielle de l’ancrage, que nous croiserons avec une approche métabolique (Zhang 2013) pour sa dimension matérielle. Cette proposition de grille est suivie d’une discussion sur la manière dont l’ancrage territorial s’arrime avec la notion de RTE.