S’il est vrai que l’éthique grecque était fondée sur un cosmos hiérarchisé et l’éthique médiévale sur la transcendance divine, la modernité tente de fonder l’éthique sur des normes juridiques issues du débat démocratique et dont la souveraineté de l’État est le garant. Pourtant, l’éthique est exposée à une crise profonde qui est plus largement celle des modes de production des normes de vérité. Sur quoi reposent ces valeurs partagées dont l’éthique entend accompagner sinon guider les actions de l’homme moderne ? Dans le double sillage de Marx et de Heidegger et tentant une percée par-delà cet héritage post-métaphysique, Kostas Axelos pose la question radicale du sens de l’éthique, dans un temps exposé à la possibilité grandissante du relativisme voire du nihilisme. Le travail de pensée engagé n’est pas tant de dire ce qu’est l’éthique que d’en interroger l’actuelle définition ainsi que la provenance, de mettre en question le sens que nous lui donnons, d’en éveiller une réserve de sens potentiel et les ressources de son déploiement. Aussi cette pensée est-elle questionnante et prospective, plutôt qu’assertorique et sommative. L’éthique est appelée à être repensée et reprise selon une perspective à la fois rétrocédante et anticipatrice : son enjeu n’est rien moins que de rendre manifeste l’impensé d’une éthique moderne essentiellement déterminée par ses héritages métaphysiques et de plus en plus menacée par la pensée calculante à l’œuvre dans les technosciences. Cet impensé, Axelos, le nomme le Jeu du Monde : dans ce jeu, l’homme est lui-même joué par des puissances (Physis, Logos, Polis, Teknè) dont la provenance et la destination sont en partie hors de son contrôle et de son horizon. L’éthique est toujours le lieu d’une rencontre problématique entre ces puissances. Aussi l’homme est-il mis en jeu par ces puissances en parties occultées par le déploiement planétaire de la science technicisée.