Les industries créatives ont la particularité de conjuguer, au sein d'un même secteur d'activité, les enjeux du monde de la création et ceux du monde des affaires. La littérature en sciences de gestion a depuis longtemps mis en lumière les tensions pouvant exister entre rationalité créative et rationalité économique et la manière dont les acteurs créatifs s'efforcent de gérer les pressions économiques pour protéger leurs espaces de création. Dans cette communication nous abordons cette thématique au travers d’une méthodologie originale, une ethnographie de l’activité quotidienne, en prenant comme objet d’étude un acteur singulier ayant la particularité de conjuguer la direction artistique et la gérance de son entreprise. Nous mettons en évidence qu’il existe une asymétrie dans la manière dont cet acteur s'engage dans les rôles marchands d'acheteur et de vendeur. S'il s’investit dans le rôle d’acheteur et que ce rôle est perçu comme une ressource au processus créatif, il se distancie en revanche du rôle de vendeur qu’il appréhende comme une contrainte. L’analyse de cette attitude différenciée nous permet de qualifier l’acteur créatif d’entrepreneur non conventionnel et de mettre en lumière une posture particulière quant à la place donnée à la recherche de la performance économique. Il ne s’agit pas ici de chercher à maximiser le profit et à accumuler les ressources dans le but de faire croître l’activité, mais au contraire d’assurer la simple reproduction des ressources afin de rendre possible la continuité de l’activité tout en se protégeant d’un accroissement des contraintes économiques. Il apparaît alors qu’il n’existe pas une opposition indépassable entre rationalité économique et rationalité créative mais que l’enjeu consiste, pour les acteurs et plus globalement pour les entreprises créatives, dans l’articulation astucieuse des deux rationalités afin d’assurer tout à la fois la soutenabilité économique de l’activité et la pérennité de l’activité créative.