Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Rhône fait l’objet d’une « diplomatie de frontière » discontinue entre la France et le Piémont-Savoie, deux voisins tantôt alliés, tantôt ennemis. À la suite des guerres d’Italie, l’entre Saône-et-Rhône – actuel département de l’Ain – devient une « frontière-zone » disputée, impossible à défendre et finalement remplacée par une « ligne » visible, le Rhône. En vertu de l’article 1 du traité de Lyon de 1601, Henri IV annexe la région jusqu’à ce fleuve, le long duquel il s’empare de plusieurs têtes de pont côté Savoie pour affirmer sa puissance en direction des Alpes et mettre à l’abri Lyon, auparavant aux portes du duché voisin. Charles-Emmanuel Ier se voit alors imposer une « barrière » stratégique entravant toutes ses tentatives d’expansion vers la France. Cette « ligne » durable n’en reste pas moins imparfaite car subsistent de part et d’autre des enclaves territoriales. Cette situation suscite de vives tensions et, pour préserver de bonnes relations, en 1605-1606, les autorités dauphinoises et savoyardes se rencontrent à Gex dans le cadre de conférences de limites stériles : malgré de minimes retouches, le « Rhône-frontière » reste au cœur d’éternels débats qui, en l’absence d’autre rencontre, perdurent jusqu’au traité de Turin de 1760. Inspiré par l’idée de « frontières naturelles », l’article 1 de ce traité fait de ce fleuve une « limite naturelle & sans enclave » dont la souveraineté est également partagée entre les deux États. Cette nouvelle perception du Rhône s’explique par un contexte différent de celui de 1601 : engagé dans la guerre de Sept Ans, Louis XV n’a plus les moyens de maintenir le rapport de forces instauré par Henri IV et ne peut plus ignorer la montée en puissance de la maison de Savoie. S’inscrivant dans la longue durée, cette communication montre que la perception de la frontière à l’époque moderne change en fonction de l’évolution du rapport de forces entre deux États belliqueux qu’elle sépare.