Ce chapitre embrasse les cinquante premières années de l’hypertexte et tente d’en brosser un portrait, en visant à dégager les caractéristiques les plus saillantes de chaque nouvelle perspective. Dès la définition fondatrice de Ted Nelson en 1965, sont considérés comme hypertextes des « matériaux écrits ou pictoriaux ». En y intégrant aussi le son et toutes les formes d’images animées, le terme hypertexte désigne donc sans différenciation non seulement des textes, mais aussi ce qu’on appelle parfois des hypermédias. Les trois temps de l’hypertexte ont tout d’abord transformé le texte, numérisant le livre avant de produire des textes de nouvelle génération qui exigent l’ordinateur pour exister, car ils sont le produit d’un traitement algorithmique de données à la fois déclaratives et procédurales. La famille qui a suivi requiert en outre l’engagement d’un lecteur dont les actions conditionnent ce que les algorithmes produisent. La fixité des contenus soumis à l’interaction disparaît, de même que l’enclipsage de données dans des unités d’informations invariables dont seuls les enchaînements varient au cours de la consultation, au profit d’un monde qui se constitue au gré des échanges et dont il s’agit d’expérimenter les évolutions et réactions au fur et à mesure de nos propres actions et comportements. Dans le troisième groupe actuellement en émergence et dont on ignore tout l’empan des développements futurs, l’être humain lui-même devient un hyperdocument mobile et dynamique, tracé par les systèmes qui captent en permanence les données que fournissent ses extensions numériques, et traçant car basant ses décisions et son action sur les captures à base de traces qui assistent sa vie quotidienne. Dans cette intrication extrême, l’hyperdocument devient le cœur même, le noyau indissociable d’une expérience humaine probablement transformée par ces nouveaux assistants inédits. Car nous commençons à réaliser le rêve de Vannevar Bush et de Ted Nelson : nos documents s’attachent à nous, nous enserrent, se lient et se tissent entre eux pour s’interconnecter dans un mode de relation de plus en proche de notre pensée en action.