Dans un contexte culturel contemporain marqué par la domination des industries visuelles, la dialectique de l’ordre et du désordre se manifeste exemplairement à travers le comportement du regard. Face au flux désordonné du visible, le regard construisant l’image se trouve déstabilisé. Dans cette perspective, l’opération cinématographique du cadrage offre des éléments révélateurs pour penser le rapport entre l’ambition ordonnatrice du regard et le réel saturé de visibilités. Pensé comme opération de sélection dès le début du cinéma, le cadrage pose une limite entre le montré et le non-montré. Il dégage une donnée visible dans le désordre des autres. La forme rectangulaire, qui incarne cette même ambition ordonnatrice à la base du cadrage, permet ainsi de stabiliser la perception du regard et d’aiguiser l’attention du spectateur. Or avec la démocratisation de l’accès aux appareils optiques (e.g. caméras) et la surproduction visuelle, le regard du spectateur se trouve déstabilisé, ne parvenant plus à contrôler le flux des visibilités. Bien qu’équipé d’objectifs et habitué aux écrans, le regard manifeste sa fragilité, qui contrevient à son apothéose attendue. Ces tensions inhérentes au regard contemporain sont exemplairement condensées par le cinéma, qui combine le pouvoir de sélection des images avec le potentiel de saturation du visible. Dans cette perspective, le cadrage apparaît à la fois comme un double du regard et comme son opérateur, invitant le spectateur à prendre conscience de sa propre condition, des limites et des puissances de ses propres facultés visuelles