Le nouveau paradigme des humanités environnementales, vise l’étude de la pensée écologique et de la mutation écologique de nos sociétés. Que nous l'acceptions ou non, nous sommes investis d'une responsabilité inconnue des générations antérieures : laisser aux générations futures une terre habitable, et ne pas altérer nos conditions biologiques d'existence. S’il y a un domaine complexe, c’est celui de nos relations entre humains et non-humains, des autres vivants avec qui nous partageons déjà tant sans le savoir. Les non-humains doivent participer à l’administration des territoires, à leur intendance (stewarship). Pour reprendre Philippe Descola, nous possédions la nature, ces ressources, ces possibilités de production. Aujourd’hui, l’idée est d’être « possédé », soi-même, par un milieu de vie. En matière d’urbanisme par exemple, nous sommes passés d’un urbanisme de plan à une urbanité de projet ; de la charte d’Athènes de 1933 à la charte de Quito de 2016 en passant par la charte d’Aalborg en 1994. Si la ville s’ouvre, si elle se complexifie, se systématise, se métabolise, où est la place du vivant et des solidarités, dans cette ville « pilotée », « intelligente », « smart » ? Avec l’Urban ecology et l’urbanisme durable, la ville est devenue solutions et non problèmes, à condition de raisonner à l’échelle des territoires. Mais comment co-produire avec les non-humains dans les projets de territoires urbains ? Il y a bien dans le projet de territoire une poeïsis, en tant qu’idées et représentations de la mise en valeur d'un lieu, ainsi qu’une praxis, en tant qu’outils et processus, en général collectifs, de conception et de création de territoires réels ou imaginaires. Judith Butler essaie à l’aide du concept de relationalité de reformuler des enjeux politiques et éthiques du vivre ensemble à partir du corps. Le corps constitue ainsi notre première maison et il reflète le monde. Il importe de repenser les rapports entre le sujet politique et le monde dans lequel il vit et agit, de façon à promouvoir des relations plus égalitaires entre les individus et avec leur environnement. Plusieurs pistes s’ouvrent alors pour une géographie de la relationalité en prise avec les projets de territoire. Il s’agit d’écouter les non-humains, de les faire « parler », de révéler leur présence à notre monde mondain, en cherchant à les faire entrer dans nos processus de gouvernance. Cette approche couple les dimensions sociale, écologique et géographique. Aménager implique maîtrise et contrôle, du double point de vue juridique et technique. Or, dans un projet de territoire urbain, ces systèmes socio-écologiques ont leurs propres dynamiques, sources d’incertitudes. Nous ne pouvons gérer cette extériorité uniquement par l’intensité de la relation : ce que nous mettons dedans et ce que nous en retirons. Mettre en place différentes temporalités (accélérer le partage de la connaissance, perdre du temps à jouer pour délibérer, faire intervenir des outils d’aide à la décision, réorganiser les services d’une collectivité…) ouvre des pistes concrètes pour rationaliser, améliorer la délibération et prendre des décisions concrètes dans l’intégration du vivant et renforcer la solidarité dans les projets de territoire urbains.