Les démarches créatives ou artistiques peuvent constituer des ressources ou des stratégies de mobilisation pour les activistes et les artistes. La littérature s’est peu intéressée néanmoins aux interactions entre les artistes et les activistes dans le quotidien d’un conflit. Nous suggérons de voir les luttes sociales comme des processus organisants (organizing) autant que comme des actions de mobilisation (mobilizing) et d’analyser en quoi les démarches créatives et artistiques contribuent à cette relation réciproque organizing/mobilizing. A partir d’une analyse du conflit qui a accompagné l’annonce de la fermeture de l’usine Lejaby à Yssingeaux en 2012, et qui a inspiré plusieurs démarches artistiques et créatives, nous montrons que ces démarches, par leur capacité à s’emparer de dimensions sensibles, favorisent des épisodes spatio-temporels structurants pour la lutte : certains constituent des espaces protégés, qui peuvent correspondre à un temps réflexif intime ou à un moment collectif de synchronisation des temporalités subjectives, d’autres correspondent à des espaces hybridés, qui peuvent être tantôt capacitants, tantôt théâtralisés. Nous contribuons à la fois au champ de l’analyse des mouvements sociaux, et du rôle de l’art et de la créativité dans l’organisation et la mobilisation de ces mouvements, mais également à une lecture relationnelle des dimensions spatiales et temporelles de l’organisation et de l’action collective, dans la lignée de Lefebvre et Massey.