Toute œuvre monumentale est déconcertante à quelque égard ; il en va ainsi des Mémoires de guerre du général de Gaulle qui, plus de cinquante ans après leur publication, et alors que maints analystes ont commenté l’élaboration d’une légitimité historique, politique et littéraire, suscitent encore des interrogations aussi bien sur leur écriture que sur leur réception. Ces quelques notes sont consacrées à la mise en évidence puis à la discussion d’une « curiosité », jusque-là non observée, dans leur composition. Cette curiosité ne serait qu’anecdotique si elle n’engageait une question beaucoup plus fondamentale : celle du rapport du général de Gaulle avec le plus tragique événement de la Seconde Guerre mondiale : l’arrestation et l’extermination systématique des Juifs. Concertés — le texte fut remanié plusieurs fois — mais déconcertants donc, les Mémoires usent, au moins localement, d’un procédé quelque peu inattendu : l’emploi de phrases quasiment identiques pour référer à trois reprises à l’arrestation en masse des Juifs en France. Si le quasi-silence du mémorialiste au sujet de l’extermination des Juifs a été souligné, il convient d’examiner avec précision les passages dans lesquels l’auteur relate la politique antijuive en France. On relève ainsi dans les Mémoires seulement trois références à la tragédie (dans le deuxième tome : « L’Unité »), dont la seule recension est par elle-même déjà significative ; ces occurrences sont reproduites en italique ci-dessous, avec un contexte plus large qui, comme on le verra, joue un rôle important.